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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/319

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les bras autour du cou : — Ma chère enfant, disait-elle, tu l’aimes donc bien, ce… Godo !

La jeune fille relevait fièrement son front, et promenait autour d’elle ses regards distraits.

— Ah ! petite, reprenait la tante en hochant la tête, c’est ton secret, et tu es trop orgueilleuse pour me le confier. On te croirait folle, et tu ne fais que te plonger dans tes rêves égoïstes ; oh ! loca cuerda ! tu ne vois rien de ce qui t’entoure : ton cœur, ton esprit, tes pensées, sont ailleurs !…

Désespérée de ne pouvoir pas plus provoquer les confidences de Mercedès qu’amener le père de celle-ci à une explication, la vieille tante courait vers la petite Luisa et l’embrassait avec effusion. La douceur résignée de cette charmante créature l’attirait et la touchait jusqu’aux larmes ; mais elle n’osait dire tout ce qu’elle pensait devant une si jeune fille. Alors, pour donner un libre cours à sa loquacité naturelle, la tante Mariana faisait une promenade solitaire dans le jardin et se parlait à elle-même en agitant l’éventail comme si elle avait eu à convaincre quelqu’un. — Après tout, murmurait-elle, c’est le père qui a tort… À qui s’en prend-il ? Les événemens ont détruit ses prévisions, et il se lâche… Vous avez beau résister, don Ignacio, ce qui est fait est fait… Votre neveu a pris la femme qui lui convenait, et vous n’empêcherez pas votre fille de souhaiter un mari qui lui plaise… Bah ! les pères ne s’entendent point à conduire les filles ! Si j’avais été là, les choses auraient marché tout autrement… La Mercedès a de la tête, j’en conviens ; elle est fière… Elle a tort de repousser les consolations que je m’empresse de lui apporter ! C’est très mal… Que voulez-vous ? sa nature est ainsi. Dans les grands cœurs naissent les grandes passions, et les grandes passions sont impitoyables…

Parfois, tandis qu’elle débitait ces beaux raisonnemens avec une volubilité extrême et des gestes animés, le docteur se montrait de loin, et elle s’empressait d’aller à sa rencontre. Avec lui, elle pouvait parler beaucoup et sans contrainte ; ne portait-il pas un intérêt sincère à cette famille dont il connaissait tous les secrets ? Cependant il s’élevait souvent entre eux des discussions assez vives. La petite tante Mariana, pétulante malgré son âge et sympathique à la jeunesse, voulait que l’on enlevât de force, pour ainsi dire d’assaut, le consentement de don Ignacio, son neveu. Selon elle, il fallait qu’ils l’attaquassent tous à la fois ; au moment où le pauvre père, forcé dans ses retranchemens, n’aurait plus qu’à se rendre, don Agustin paraîtrait tout à coup, tenant doña Mercedès par la main, et, tombant à genoux, ils obtiendraient de don Ignacio attendri et vaincu la permission de s’unir l’un à l’autre. Le docteur répondait que les choses se passent ainsi dans les comédies pour la plus