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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/340

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tir de la péninsule, le convict qui est parvenu à s’évader de la prison et à tromper les postes de constables et la ligne de sentinelles a un terrible pas à franchir : c’est l’isthme qui joint entre elles les presqu’îles de Tasman et de Forestier, Cet isthme est une langue de sable étroite que l’on s’est avisé de couper par une ligne de chiens furieux; leurs chaînes sont juste assez longues pour leur permettre de se flairer le museau; le malheureux qui tente de franchir cette formidable barrière est mis en pièces. Le long des grèves, on a placé à des distances rapprochées, sur des pilotis, des niches dans lesquelles sont établis d’autres chiens qui, en cas d’évasion, donnent l’alarme aux sentinelles échelonnées sur le rivage, et la mer déferle au large avec trop de force pour qu’un homme puisse se hasarder sur les récifs.

La façon dont sont traités les convicts, l’obligation qui leur est imposée de travailler gratuitement chez les colons, bien plus encore, le mépris qui les suit lorsqu’ils sont rentrés dans la vie régulière, tout le système en vigueur et les préjugés qui en sont la conséquence inséparable n’ont cessé de provoquer l’indignation de la classe d’hommes que l’on appelle emancipists, laquelle se compose de libérés, de leurs enfans et de leurs petits-enfans. Ils n’ont cessé de provoquer des réformes : durant de longues années, les feuilles locales ont retenti de leurs plaintes et quelquefois de leurs menaces; mais que faire? Ils auraient bien pu réclamer en vain pendant longtemps encore; contre des préjugés enracinés par l’usage et entretenus par une continuelle importation de malfaiteurs, il n’y a ni législation, ni actes administratifs qui puissent quelque chose. Enfin un fait impatiemment attendu est venu donner, avec un but plus précis, une nouvelle force à ces demandes : c’est la suppression de la transportation à Sydney. La Tasmanie ne cesse depuis 1840 de solliciter la même faveur; pourquoi la lui refuserait-on? S’en est-elle montrée indigne? Hobart-Town mérite-t-elle moins d’égards que Sydney? La plus belle terre du monde doit-elle toujours être souillée par le contact des bandits? Les emancipists se sont jetés avec ardeur dans cette voie de nouvelles réclamations : ils n’auront plus sous les yeux des misérables rappelant toujours par leur présence et leur condition une origine détestée; peu à peu ils se confondront dans la foule des honnêtes gens, émigrans libres affluant de l’Angleterre. Ils ont conquis des partisans et de nombreux auxiliaires dans la classe des free men, en général peu satisfaits de voir la métropole se décharger de ses malfaiteurs sur la Tasmanie; mais ils ont aussi, dans la colonie même, des adversaires opiniâtres. Et les ponts, les chemins, les édifices, qui les a bâtis? La Tasmanie tout entière est due à la transportation; faut-il la priver de cette ressource au moment où les bras manquent à la terre et à tous les tra-