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si véhémente qu’il ne peut guère parler et que nous avons tout lieu de craindre une inflammation de bas-ventre. » Trois semaines plus tard, il écrivait encore : « Comme le roi se trouve beaucoup plus mal que par le passé, j’ai cru de mon devoir de vous en avertir. Ne vous faites plus d’espérance de sa guérison, car il a l’inflammation dans les poumons, et il est impossible qu’il en réchappe. »

Vers la fin d’avril, le roi se rendit à Potsdam dans l’espoir qu’un air plus salutaire relèverait quelque peu sa santé; mais là son état ne fit que s’aggraver, à ce point que, sentant sa mort prochaine, il jugea que le moment était venu de mettre au courant des affaires générales du royaume son fils le prince Frédéric, qui sur ces entrefaites s’était rendu à Neu-Ruppin. Un membre du cabinet et deux ministres d’état lui furent dépêchés à cet effet. Frédéric, qui touchait alors à sa vingt-neuvième année, était au niveau du rôle qui l’attendait; le fardeau des affaires n’avait rien qui pût alarmer un esprit tel que le sien. « Vous pouvez bien juger, écrit-il à Suhm, un de ses fidèles amis, que je suis assez tracassé dans la situation où je me trouve. On me laisse peu de repos, mais l’intérieur est tranquille, et je puis vous assurer que je n’ai jamais été plus philosophe qu’en cette occasion-ci. Je regarde avec des yeux d’indifférence tout ce qui m’attend, sans désirer la fortune ni la craindre, plein de compassion pour ceux qui souffrent, d’estime pour les honnêtes gens et de tendresse pour mes amis. »

Le 18 mai 1740, Frédéric est encore à Ruppin, et nous le retrouvons le lendemain au milieu de la petite cour de Rheinsberg; mais déjà les beaux jours de cette résidence tiraient à leur fin. Dans la nuit du 26 au 27 mai, un courrier arrive en toute hâte de Potsdam, apportant la nouvelle que le roi est au plus mal. Immédiatement les préparatifs de départ sont commandés. Chasot prend les devans, et Frédéric, laissant à Rheinsberg la princesse royale, arrive à Potsdam le même jour. Le prince trouva son illustre père dans un état qui ne laissait plus aucun espoir. Les quelques journées qui restaient au père et au fils pour leurs suprêmes entrevues furent pleines d’émotion; la tendresse avec laquelle le roi l’accueillit, l’affectueuse confiance qu’il lui témoigna, prouvèrent à Frédéric qu’il ne restait plus trace d’anciens ressentimens dans le cœur du vieillard moribond. Avant de quitter ce monde, Frédéric-Guillaume voulut exposer longuement à l’héritier de sa puissance la situation de la Prusse vis-à-vis des divers états de l’Europe. L’histoire doit à M. de Podewils, alors ministre, quelques précieux renseignemens sur cette conversation, dont il lut l’unique témoin. Selon l’idée fixe de Frédéric-Guillaume dictant au lit de mort ses dernières recommandations, il y a deux points fondamentaux sur lesquels il importe qu’un roi de