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sa garnison, et en se promettant bien d’accourir de nouveau dès le premier prétexte. Un opéra, un concert, un ballet, le simple début d’une danseuse, tout lui était occasion de reparaître, et sans lui le directeur des plaisirs du roi, le fameux baron de Poellnitz lui-même, n’eût point voulu disposer le programme d’une fête. En 1750, la margrave de Baireuth et son époux étant venus faire visite à leur royal frère, tous les ducs, princes et dynastes relevant plus ou moins de la couronne de Prusse furent conviés. Comme il s’agissait de célébrer dignement la présence de si nobles botes, Frédéric ordonna d’immenses préparatifs dans ses résidences de Potsdam, de Charlottenbourg et de Berlin, et pour clore une série de festins, d’illuminations et de représentations théâtrales comme on n’en avait certes jamais vu au pays qu’arrose la Sprée, il imagina un carrousel dont la pompe rappela toutes les splendeurs du règne de Louis XIV. Chasot se plaît à retracer dans ses mémoires les diverses péripéties de cette solennité qui tint en émoi la plupart des cours d’Allemagne, et dont les détails nous initient au train de vie de cette époque.


« Le carrousel attira un nombre prodigieux d’étrangers de toutes les nations à Berlin. Bientôt les villes de Prague, Dresde, Leipzig, Nuremberg, Francfort et autres ne purent fournir la quantité suffisante de grosses perles et de pierreries pour les magnifiques habillemens des chevaliers, pour les harnais de leurs chevaux, couverts de housses brodées et pendantes jusqu’à terre. Pour mon costume, on m’avait envoyé secrètement de Dresde, par le premier danseur, nommé Pitro, une si grande quantité de diamans faux, qu’on aurait pu en garnir deux équipages complets. Ces diamans de toute beauté, montés en argent, appartenaient au roi de Pologne, et étaient destinés pour le théâtre. Le service qu’on me rendit en me prêtant ces pierreries m’épargna une grande dépense et la peine sans doute inutile d’en chercher partout ailleurs. Malgré cependant cette grande épargne, le compte des dépenses occasionnées par le carrousel, par un long séjour, avec beaucoup de chevaux, à Potsdam et à Berlin, pour les exercices ou les répétitions analogues à cette fête guerrière, se montait à onze mille et trois cents écus. L’on ne se trompe certainement pas beaucoup dans son calcul en faisant monter la dépense des chefs de quadrille, surtout celle du prince de Prusse et du prince Henri, à trente-sept et même quarante mille écus pour cette fête. »


À ces galas solennels dont s’occupait l’Europe succédaient les réunions privées, les petits cercles de musique intime. Sur ce champ de bataille comme sur les autres, le grand Frédéric aimait à vaincre. On sait quel habile, quel imperturbable dilettante c’était que ce puissant monarque, et combien il excellait dans l’art de jouer de la flûte traversière. Ce goût, qu’il n’abandonna du reste que fort tard, et lorsque ses doigts, raidis par l’âge et la maladie, se refusè-