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de la Burschenschaft ou quelques-uns des docteurs de la jeune école hégélienne. Pauvres maîtres et pauvres doctrines; mais M. Pfau relève tout cela par la sincérité du sentiment, par la vigueur de l’expression. Ce qui a charmé ses lecteurs, qu’il le sache bien, ce n’est pas l’âpreté de son naturalisme, c’est son enthousiasme, même appliqué à faux, c’est l’essor d’un esprit qui veut agir et vivre. Au milieu de l’affaissement général, quand on voit la jeunesse elle-même indifférente à ce qui faisait jadis battre les cœurs, on n’a pas le courage de condamner trop sévèrement ces juvéniles incartades. « L’année a perdu son printemps, » disait l’orateur athénien. Une journée de printemps, fût-elle orageuse et troublée, vaut mieux que les glaces de l’hiver. Le jour où M. Pfau réservera pour des doctrines meilleures la poétique inspiration qui le possède, où il chantera l’amour, la patrie, la philosophie, la liberté, toutes les grandes passions du cœur et de l’esprit, au lieu de chanter la fougue des sens et les voiles déchirés des vierges, le jour enfin où il écrira pour des hommes, je crois que l’Allemagne du XIXe siècle pourra compter un poète de plus.

En face des ardentes poésies de M. Pfau, nous aurions voulu signaler d’autres symptômes; les poètes religieux ne manquent pas en Allemagne. Depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, de Walther de Vogelweide jusqu’à Stolberg et Novalis, l’inspiration chrétienne tient une grande place dans la poésie germanique. La réforme, loin d’arrêter ce courant, en a rafraîchi et multiplié les sources. Ces voix du passé vibrent encore, et tout récemment un des hommes qui connaissent le mieux la vieille Allemagne, un érudit qui excelle à traduire en poète les chants du moyen âge, le traducteur des Niebelungen, du Heldelbuch, du Parceval, M. Charles Simrock, donnait sous ce titre, la Harpe allemande de Sion[1], un recueil très bien composé des poésies religieuses du XIIe et du XIIIe siècle. Les poètes mystiques et tendres que traduit si bien M. Simrock ont-ils aujourd’hui des successeurs? Il y a des poètes piétistes, des poètes méthodistes; un poète vraiment religieux, je le cherche en vain. Je n’appelle pas un poète religieux celui qui chante pour une petite église, celui qu’une communauté porte aux nues et que la communauté voisine ne connaît pas. La voix du poète religieux doit être semblable aux sons de l’orgue; suave ou sévère, humble ou sublime, elle chante pour toutes les âmes. Je veux aussi que, pour produire une action vraiment religieuse, le poète ne s’en tienne pas toujours aux mêmes sujets, qu’il ait vécu, qu’il ait pris part à toutes les émotions de l’humanité; le jour où il exprimera les aspirations reli-

  1. Deutsche Sions Harfe, von Karl Simrock; Elberfeld 1857.