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Est-ce bien à nous cependant de faire ces voyages de découvertes? Notre tâche est plus simple : nous ne prétendons pas révéler à nos voisins des richesses qu’ils ignoreraient eux-mêmes; nous voulons connaître l’Allemagne et les divers mouvemens d’idées qui s’y produisent. Les œuvres dont nous avons l’habitude de parler ici ont déjà été jugées au-delà du Rhin; ces jugemens, qui sont des symptômes, nous intéressent quelquefois autant que les œuvres elles-mêmes. Laissons donc les critiques allemands séparer le grain de la paille : quand ils auront fini de vanner, ils diront ce qu’ils pensent de la moisson.

Ces critiques, je dis les plus confians, succomberaient eux-mêmes à la tâche, si de temps à autre des alliés inattendus ne leur prêtaient main-forte. Le roi de Bavière, il y a un an, leur est venu en aide fort à propos. Un concours de poésie dramatique a été ouvert par ses ordres; une commission, composée de trois littérateurs éminens, s’est mise à l’œuvre, et, après dix mois d’un travail sans relâche, le jury a prononcé son verdict. On pense bien que tous les auteurs de drames et de tragédies, assurés d’avoir enfin des lecteurs, n’ont pas manqué d’envoyer leurs manuscrits au tribunal de Munich. Drames gardés en portefeuille, tragédies improvisées, tout est venu à la fois. Le choix des sujets était libre, on s’en est bien aperçu. Les trois membres de la commission ont pu voir l’histoire universelle se dérouler sous leurs yeux dans une série de tableaux en cinq actes et en vers. Nommons ces courageux citoyens : c’était un critique et historien littéraire d’un rare mérite, M. Adolphe de Schack, connu par une histoire savante et enthousiaste du théâtre espagnol; le poète Emmanuel Geibel, dont nous parlions tout à l’heure, et M. de Sybel, historien artiste, à qui l’on doit d’excellentes pages sur la révolution française. Il n’y eut pas moins de cent treize manuscrits envoyés au concours. Parmi ces tragédies, il y en avait vingt-deux sur l’Allemagne, dix-neuf sur des sujets antiques, quatre sur les Juifs, trois sur les Arabes, sept sur les Byzantins et les Grecs modernes, sept sur l’Espagne, six sur la France, quatre sur l’Italie, quatre sur les Slaves et les Magyars, deux sur les Scandinaves, deux sur la Suisse, une sur l’Angleterre, etc. Appius Claudius avait inspiré trois poètes; Lucrèce, Agis et Cléomène, Catilina, Alboin et Rosamonde, Siegfried et Brunhilde, Conradin de Souabe, avaient eu l’honneur d’être choisis par deux des dramaturges. Les trois juges, dans leur rapport, exposent scrupuleusement cette statistique; c’est comme dans les distributions de prix : Catilina, déjà nommé; Appius Claudius, nommé pour la troisième fois. Mais quoi! tant de héros, tant de personnages de tous les temps et de tous les pays! Quoi! cent treize tragédies à