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Il y avait un homme qui ne craignait pas de dire son avis, et qui s’était ménagé toute liberté à cet égard. M. Julien Schmidt est un esprit austère, tranchant, résolu, un de ces écrivains nés pour avertir leur temps et parler à la conscience publique. Armé d’une clairvoyance impitoyable, il excellait à découvrir les vices littéraires de ses contemporains. Il y avait en lui plusieurs des qualités de Gustave Planche, le sens critique, la netteté du style, la probité courageuse. Il a publié une histoire des lettres allemandes au XIXe siècle qui a rendu de grands services, et qui restera, je n’en doute pas, comme un modèle de littérature militante. Ceux-là mêmes qui ne sauraient souscrire à tous les jugemens qu’il a prononcés sont obligés d’en reconnaître l’inspiration virile. Pourquoi donc M. Julien Schmidt s’est-il retiré du champ de bataille? Est-ce la médiocrité des romanciers et des poètes qui a découragé son ardeur? Croit-il que le silence et le dédain soient seuls de mise aujourd’hui? Le plus grand plaisir de la critique assurément, c’est de discuter des œuvres vivantes, de renverser de faux systèmes, d’éclairer d’audacieux esprits qui s’égarent. Si le dilettantisme de nos jours ne la provoque guère à de pareilles luttes, ce n’est pourtant pas le talent qui fait défaut; le mal qu’il est urgent de combattre, c’est l’emploi superficiel de ce talent, c’est l’effémination et la langueur des écrivains. Gustave Planche, que M. Schmidt savait apprécier et dont il a déploré la mort en termes bien sentis, a rempli cette tâche jusqu’au dernier jour, c’est-à-dire à une époque où son esprit exigeant et altier ne manquait pas de prétextes pour garder le silence. Lessing il y a un siècle, Louis Boerne il y a quarante ans, ont traversé aussi de mauvais jours, et l’idée ne leur est pas venue de déserter leur poste. On s’occupe beaucoup de Lessing en ce moment; M. de Maltzahn a publié une édition de ses œuvres, plus complète encore que la belle édition de Lachmann; M. Adolphe Stahr vient de lui consacrer un travail conçu dans un excellent esprit; tous les hommes qui ont qualité pour diriger l’esprit littéraire de leur temps devraient relire chaque matin une page du grand critique. Fatigué de sa prédication d’autrefois, M. Schmidt s’est livré à des travaux d’un autre ordre; l’histoire du passé le dédommage du présent. S’il a tracé un tableau de la littérature française bien inférieur à son tableau de la littérature allemande, et que déparent même des erreurs graves, il a publié l’an dernier sur l’historien Jean de Müller une série d’études aussi remarquables par la nouveauté des faits que par l’élévation des idées. Le recueil dont la direction lui est confiée, le Messager de la Frontière, contient depuis quelque temps des travaux historiques et politiques animés du plus sérieux intérêt. Disons-le cependant à M. Schmidt, quel que soit le mérite de son travail sur Jean de Müller, quel que soit l’intérêt des pages po-