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Les Latins ne pouvaient porter dans leurs conflits avec les Magyars les mêmes sentimens que dans la lutte contre la barbarie asiatique ou africaine. Quoique appartenant, comme les Turcs, à la famille touranienne, les Magyars sont devenus complètement européens par la profession de la foi chrétienne et par leur établissement parmi les peuples indo-germaniques. La Roumanie a eu avec eux de fréquens rapports, et leur a même donné le plus illustre de leurs chefs, le grand Hunyad, dont l’origine valaque n’est plus contestable. Toutefois, avant leur conversion au christianisme, ils ont été de dangereux voisins, et se sont au Xe siècle emparés d’une, province tout entière, la Transylvanie. Depuis qu’ils sont devenus catholiques romains, leur zèle persécuteur les a plus d’une fois décidés à franchir les Karpathes. Il ne faut donc pas s’étonner de les voir classés par la poésie populaire des Roumains au nombre de leurs adversaires acharnés. Les Valaques pouvaient-ils oublier qu’ils avaient eu à repousser au xiv siècle une formidable invasion magyare ? Jean Ier ’Bassaraba (1324-1340) anéantit l’armée de Charles- Robert, qui périt lui-même dans a cette vallée de la mort » où les Valaques l’avaient attiré. Mihou et la Collibe de Bourtchel renferment de brèves réminiscences de ces luttes de la nationalité roumaine contre ces « braves aux larges nuques, — braves sans salaire ! — portant grands shakos — et de longues tresses — tombant sur leur dos. »

Etienne le Grand, domnu de Moldavie, eut la destinée singulière d’être appelé à combattre tous les peuples voisins de la t’era romanesca. La vie de cet homme extraordinaire ne fut qu’une longue bataille contre des adversaires qui semblaient se succéder dans l’arène. Etienne IV monta sur le trône de Bogdan[1] à une époque critique (1436). Depuis la mort d’Alexandre le Bon, ce Louis IX de la Moldavie, le pays était livré aux discordes civiles. Mahomet II, qui venait d’entrer à Constantinople (1453), menaçait de franchir le Danube et ensuite les Karpathes, et de détrôner le césar de Vienne après avoir renversé l’empereur d’Orient. Valaques et Moldaves étaient déplorablement désunis, — c’est la plaie des nations méridionales, — et disposés à se combattre plutôt qu’à s’entr’aider. Les Polonais n’avaient aucune sympathie pour les sujets d’Etienne, qu’ils accusaient d’avoir un esprit intraitable, et ne leur avaient point pardonné la sanglante défaite de Pasta (1450). Polonais et Magyars prétendaient transformer les Moldaves en vassaux obéissans. Toutes les armes étaient bonnes aux yeux des ennemis de la Moldavie ; mais Etienne savait tenir tête à tous les genres d’atta-

  1. Fondateur de la principauté à la fin du XIIIe siècle, 1292.