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frère : s’il possédait deux chevaux, j’en prenais un pour moi et lui laissais l’autre; s’il possédait dix piastres, j’en prenais cinq et lui en laissais cinq. Quand je rencontrais un pauvre, je cachais maladie et remplissais ma main d’or pour le donner au malheureux; — mais lorsque j’apercevais un Turc, oh ! alors, je ne pouvais résister au désir de lui trancher la tête et de la jeter en proie aux corbeaux ! »


Boujor, autre type de brigand moldave, n’est pas traité par la poésie populaire avec moins de bienveillance que Codréan. L’auteur de la remarquable ballade qui porte son nom le met aux prises, non pas précisément avec les Turcs, mais avec les instrumens trop dociles de la puissance suzeraine, avec ces ciocoï (pieds-plats) qui ont servi et trahi tour à tour tous les adversaires de la nationalité roumaine, et qui se sont consolés de la haine et du mépris qu’ils inspiraient aux âmes honnêtes avec l’argent et les décorations de l’étranger. On comprend sans peine que le peuple ne les plaignait guère, lorsque quelque brave, tel que Boujor aux cheveux roux, mettait la main sur un argent aussi mal acquis. Aussi tous font-ils à Boujor l’accueil le plus cordial. Les jeunes filles lui donnent des baisers qui «leur font perdre la raison. » Les juges du divan l’ayant interrogé, il montre la même assurance que Codréan.


«Stefanitza, brigand fameux, as-tu fait mourir beaucoup de chrétiens?

« — Je n’ai jamais commis de meurtre, mais j’ai rossé bien des ciocoï !

« — Boujor, brigand fameux, avoue franchement où tu as caché tes richesses, si tu veux sauver tes jours.

« — Je les ai enfouies au pied des arbres pour que les pauvres puissent les découvrir et s’acheter des vaches et des bœufs de labour. »


Cette sollicitude de Boujor pour la misère de la multitude lui assure toutes les sympathies de la foule. Lorsqu’il est envoyé à la potence et qu’il monte l’échelle, «noir sentier des morts,» tous «les pauvres se désolent et pleurent amèrement, » comme s’ils avaient perdu un protecteur.

Mihou est peint avec la même complaisance, évidemment à cause de la bravoure qu’il montre contre les Magyars. Les poètes populaires sont indulgens pour ceux qui conservent, même dans une vie désordonnée, l’amour de la patrie et la haine du joug étranger.


« Sur le mont Barbât, — par un chemin creux, — chemine en chantant — le jeune Mihou, — beau, fier comme un paon, — vrai paon des forêts, — vrai chef de brigands. — Il s’en va chantant, — jouant du kobouz[1], — d’un kobouz en os, — au chant mélodieux. »


Tout en parcourant les bois sur son mourgonchor[2], Mihou

  1. Flûte.
  2. Diminutif de mourgo, cheval bai.