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émigrés, — un homme qui avait été tour à tour officier dans nos armées et dans l’armée sarde, l’un des fauteurs de la révolution piémontaise de 1821, proscrit, soldat volontaire au service de l’Espagne constitutionnelle de 1823 et de l’indépendance grecque, professeur de sciences en France, puis enfin général, sénateur et conseiller de la couronne à Turin après 1848. M. de Collegno, qu’on a vu un moment représenter la Sardaigne à Paris en 1852, avait donc été émigré, lui aussi, et émigré pendant plus de vingt ans, allant d’un pays à l’autre, parcourant l’Europe, attendant sans cesse l’heure de rentrer dans sa patrie; mais il avait traversé cette épreuve avec une dignité fière et en esprit supérieur, sans laisser s’altérer une intégrité morale native ; il n’avait puisé dans l’exil qu’une expérience plus mûre, une singulière connaissance des hommes et des choses, un sentiment plus raisonné et moins exempt d’illusion de tous les devoirs patriotiques, si bien qu’au bout de sa carrière il a été sans effort l’honneur et le conseil du Piémont; il a offert à l’Italie ce qui lui manque peut-être bien plus que le talent, — un caractère, — un caractère moral élevé uni à une grande finesse d’esprit. Dans cet homme de bien une extrême sagesse pratique se combinait avec une confiance inépuisable en l’avenir. Ainsi le peint M. Massimo d’Azeglio dans quelques pages émues qu’il lui a consacrées sous ce titre : Souvenir d’une Vie italienne. Ce n’est rien peut-être qu’une existence humaine perdue dans un siècle, au milieu du fracas des événemens; mais quand cette existence a eu pour mobile invariable une pensée patriotique, lorsque, sans avoir rien de romanesque, elle reflète toutes les vicissitudes d’un temps, elle a son intérêt. C’est là, après tout, la vie de ce gentilhomme piémontais qui commençait sa carrière dans nos armées, au milieu des flammes de Moscou, et qui la terminait récemment dans une gracieuse retraite du Lac-Majeur, à Baveno, après avoir représenté dans tout ce qu’elle avait de viril et d’élevé une génération qui disparaît peu à peu.

Une vie italienne! a dit M. Massimo d’Azeglio; non pas une vie bruyante et pleine de complots, mais une vie noblement conduite par un homme fait pour traverser avec aisance des situations qui auraient pu facilement devenir des aventures. M. de Collegno était né en 1794. A dix-huit ans, après avoir été dans les écoles militaires françaises, il avait fait la campagne de Russie comme lieutenant d’artillerie, et même, dans cette fatale retraite, il était tombé entre les mains des Cosaques, auxquels il n’échappa que par un miracle de hardiesse, la nuit, demi-nu et un pied gelé. Les événemens de 1814 le trouvaient capitaine d’artillerie, chevalier de la Légion d’honneur, et le rendaient à sa patrie natale, le Piémont, qui depuis dix ans avait disparu dans l’empire. Ces événemens, qu’on n’a jamais assez