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William Pitt en avait proposé le principe à la chambre des communes, le 7 mai 1782, avec l’appui de Fox, alors ministre, et un concours assez nombreux d’adhérens divers. La motion, habilement soutenue, n’en avait pas moins été tout d’abord écartée par cette sage répugnance des Anglais à changer les anciennes lois, et Pitt était destiné à renouveler plusieurs fois la même tentative inutile, avant de s’en montrer, à son tour, l’adversaire inflexible.

Pour nous, ce changement de rôle dans un si grand esprit indique bien les deux faces de la question, et ce qu’elle avait, selon les temps, de diversement grave et complexe. S’agissait-il des années languissantes et des ministères vacillans qui suivirent la guerre d’Amérique, un jeune homme, né ministre de race et d’instinct, mais pas encore en fonction, un jeune politique plein de feu et. d’audace, tel qu’était William Pitt, envoyé à la chambre des communes par le petit bourg d’Appleby, sur un mot de recommandation de son camarade d’université, le duc de Rutland, devait trouver pour lui-même ce mode de promotion bien précaire, et en juger sévèrement l’emploi dans d’autres applications moins heureuses. Avec cette rigueur de logique où se plaît la jeunesse, il n’avait pas de peine à démontrer les nombreuses incohérences, les extrêmes inégalités, les contradictions de tout genre, dont s’étaient chargées successivement les élections anglaises. Mais bientôt d’autres problèmes politiques et d’autres luttes pour sa propre élévation, pour le règlement de l’Inde, pour l’organisation de la régence, vinrent le distraire et employer ailleurs toute sa force.

Puis allaient venir, pour contre-poids et pour avertissement à l’esprit de réforme électorale en Angleterre, les réformes de la France et l’ébranlement de leurs secousses illimitées. Sans doute le zèle réformiste d’une partie des anciens whigs, de ce qu’on pouvait appeler les libéraux anglais, loin d’être découragé par cet exemple, dut y puiser d’abord une ardeur nouvelle : les pétitions se multipliaient, des associations ardentes se formaient; mais les appuis de la réforme n’étaient plus les mêmes, et le bon sens public n’était plus favorable à cette nouveauté, dont les conséquences étaient portées si loin dans un autre pays. Les excès de l’esprit de révolution en France tempéraient et intimidaient l’esprit de réforme en Angleterre. Les mots de parlement annuel, de suffrage universel, que faisaient retentir les correspondans britanniques des clubs français, frappaient de discrédit et de défiance tout projet, même de réforme judicieuse et modérée.

Le principe d’une valeur de trois journées de travail considérée comme suffisante pour conférer le droit électif, cette condition de l’activité civique précieusement recueillie par M. Le vicomte de Cormenin et d’autres publicistes de nos jours, épouvantait le bon sens