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tiative dans la presse et de l’absence des discussions politiques. La raison publique se manifesterait avec une force et un éclat dignes de la France, et donnerait au gouvernement le frein ou l’appui qui lui serait nécessaire, si la presse française ne se bornait point à l’aveugle collection des faits que lui transmettent les bureaux de nouvelles, ou qu’elle glane dans les correspondances bavardes des feuilles étrangères, si elle abordait avec une libre et généreuse émulation la discussion des grandes affaires que les complications européennes suscitent aujourd’hui à la France. L’opinion serait-elle arrivée au désarroi où nous la voyons, si les journaux discutaient des systèmes au lieu de colporter des bruits ? Pas de raison publique sans discussion active, assidue des intérêts publics : le redressement et l’affermissement de l’opinion sont à ce prix. Certes, quand il s’agit pour un gouvernement et pour un peuple de prendre un parti aussi grave que celui qui est aujourd’hui proposé à la France, lorsqu’il faut choisir entre la paix ou la guerre, nous oserons dire que ni un peuple ni un gouvernement n’ont le droit de décliner les conseils publics des citoyens les plus illustres ou les plus modestes, associés aux mêmes droits et aux mêmes devoirs par l’intérêt du pays. Les grandes voix que la France a plus d’une fois écoutées et applaudies, et qu’elle aimerait à consulter dans une crise de ses destinées, ne sont point éteintes, grâce à Dieu, mais elles se sont elles-mêmes condamnées au silence. Ces hommes illustres qu’il n’est point nécessaire de nommer, ou ces hommes modestes qui n’ont point de nom encore, ne cèdent-ils pas à un découragement extrême, et leur est-il permis de se taire indéfiniment ? Nous ne le croyons pas pour notre compte ; mais nous sommes forcés de reconnaître qu’ils rencontrent dans la législation de la presse l’excuse au moins de leur regrettable abstention. Nous ne serons que modérés en attribuant à cette législation, qu’il est permis à la France de regarder comme provisoire et susceptible de réforme, une grande part de la paralysie et des défaillances où sont tombés ensemble et les discussions politiques et l’esprit public. Le Moniteur a pris soin d’avertir les pays étrangers que la presse française n’est pas soumise à la censure et que l’administration n’a sur elle aucune action préventive ; mais les écrivains en France ne peuvent oublier que la presse n’est pas régie par le droit commun, qu’il est impossible de fonder ou de transmettre un journal sans autorisation administrative, et que la pénalité des avertissemens, laquelle peut entraîner avec la suppression d’un journal la propriété qu’il représente, est appliquée par l’administration à des délits qu’elle définit elle-même, et qui ne sont ni caractérisés ni prévus par des lois positives. La pensée seule de ces conditions exceptionnelles qui régissent les journaux, quelle que soit la modération de l’administration dans l’usage qu’elle fait de ses prérogatives, éloigne de la presse un trop grand nombre d’esprits indépendans, et glace dans les journaux cette initiative courageuse et laborieuse qui est l’âme des discussions politiques. Lâchons le grand mot : si l’opinion publique n’est point en France à la hauteur des circonstances, si elle ne satisfait ni les partisans élevés de la paix, ni ceux qui croient à la nécessité et à la justice de la guerre, si l’esprit de la nation s’efface, si les grands intérêts qui sont en jeu et dont le conflit émeut l’Europe ne sont point débattus devant le pays avec l’abondance et la profondeur de vues,