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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/532

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semblaient pas à leur place, et immédiatement après que nous nous fûmes levés de table, ils firent leur révérence et partirent. Je ne puis pas m’imaginer qu’il y ait jamais une union réelle entre une administration anglaise et un sénat ionien. » L’union est difficile en effet avec des gens si prompts à croire, quand ils sont chez nous et dans notre pays, que c’est nous qui ne sommes pas à notre place. Le mot respire un esprit de dédain tout aristocratique et tout anglais, et un esprit d’appropriation tout anglais aussi.

Ainsi, malgré les incontestables bienfaits de leur administration dans les Iles-Ioniennes, les Anglais ne se sont pas concilié la faveur des Ioniens. Il est vrai de dire aussi que toutes les améliorations qu’a faites l’administration anglaise, elle les a faites, comme nous l’avons déjà dit, à l’aide de l’autorité qu’elle s’était attribuée, autorité toute souveraine, et non plus seulement protectrice, comme le voulait le traité du 5 novembre 1815. Il y avait deux principes contradictoires dans le traité de 1815, le principe de l’indépendance et le principe du protectorat. Comme le principe de l’indépendance ne se prêtait à aucun genre de gouvernement raisonnable, il fallut bien, dit le Quarterly Review de 1852, que le principe du protectorat l’emportât et se confondît avec la vraie souveraineté. Tel fut le but et le résultat de la constitution que sir Thomas Maitland fit voter en 1817 par les Iles-Ioniennes, et qui a duré jusqu’en 1848. Encore un coup, ce n’est pas tant l’allure quasi-despotique de l’administration que son origine étrangère qui déplaisait aux Ioniens. En 1821, l’insurrection de la Grèce vint enflammer encore le sentiment de la nationalité. Il y eut alors un évêque de Céphalonie qui exhorta les Céphaloniens à se joindre à l’insurrection de leurs frères de Morée, et qui fit réciter des prières pour la destruction de l’empire ottoman. Cet évêque fut révoqué, ce qu’approuve fort le Quarterly Review de 1823 ; mais cette révocation n’empêcha pas les Ioniens de donner aux insurgés grecs tous les secours qu’ils pouvaient. Sir Thomas Maitland proclama la neutralité des Iles-Ioniennes, et déclara qu’aucun vaisseau de guerre des parties belligérantes ne serait reçu dans les ports des Sept-Iles. Il ne voulut pourtant pas rompre trop durement en visière avec le patriotisme grec des Ioniens et avec la pitié européenne, en repoussant ceux des insurgés grecs qui pendant les vicissitudes de la guerre furent plusieurs fois forcés de se réfugier dans les Iles-Ioniennes, et surtout d’y chercher un asile pour leurs femmes, leurs enfans et leurs vieillards. Le successeur de sir Thomas Maitland fit de même, et tous deux firent bien; mais comme les gouverneurs anglais, tout en cédant à leurs sentimens d’humanité, semblaient cependant pencher par politique du côté des Turcs, tandis que les Ioniens étaient pleins d’enthousiasme et de dévouement pour leurs frères grecs, la guerre de l’indépendance