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Transportons-nous par l’imagination aux plus belles années du siècle de Louis XIV, vers 1672. Nous sommes, non point parmi les gens vulgaires de l’époque, mais dans un salon, au milieu de cette société si élégante et si curieuse de toutes les choses spirituelles ou instructives. On annonce un savant : c’est le physicien Mariotte. On remarque en lui une émotion inaccoutumée, et celui-ci, dans le naïf orgueil d’un succès récent, annonce qu’il vient de constater une loi naturelle qui ne sera sans doute pas inutile pour le bien de l’humanité. À ce mot, les causeries intimes cessent, et il se forme autour du savant un cercle d’hommes éclairés, de femmes spirituelles, palpitant dans l’attente de quelque sublime révélation. Le savant exprime alors cette loi à laquelle son nom est resté attaché : « Un corps à l’état gazeux est doué d’une force élastique qui varie en raison inverse du volume qu’elle occupe. » On s’attendait à une découverte éclatante, d’un résultat immédiat et palpable, et il ne s’agit au contraire que d’une formule de laboratoire qu’on saisit vaguement, et dont on ne soupçonne pas même les applications. On se figure qu’on a été dupe d’une vanité pédantesque : le cercle formé autour du savant s’éclaircit, et on revient à cet échange de propos aimables et d’ingénieuses frivolités dont tous ces gens d’esprit font leurs délices.

Tout le monde conviendra que les choses se seraient passées comme je viens de le supposer, si l’habile physicien avait fait la première confidence de sa découverte dans ce milieu de gens fort distingués sans doute, mais peu préparés à le comprendre par leurs études spéciales. Poussons la fiction plus loin, et complétons la scène. Sous les complimens que des gens polis ne lui refusent pas, le pauvre Mariotte sent une incrédulité ironique. Piqué au vif, il défend sa thèse avec passion : il affirme que les corps gazéiformes portent en eux-mêmes le principe d’un moteur nouveau, plus puissant que les anciens, et plus docile à la volonté de l’homme : s’oubliant dans une sorte d’extase prophétique, il va jusqu’à dire que, si l’on parvient à discipliner ce moteur dont il a mesuré la force, un pays pourra effectuer cent fois, mille fois plus de travail que ne le comporterait la population réduite au travail des bras, que les vaisseaux traceront leurs routes sur les mers en dépit des vents, que les gens du commun, voitures par milliers à la fois, feront plus de chemin en une heure qu’aucun des seigneurs qui l’écoutent n’en saurait faire en un jour. Mors ce n’est plus de l’incrédulité qui accueille le pauvre savant, c’est de l’inquiétude et de la pitié : on se demande s’il n’est pas fou. Mais peut-être y a-t-il dans un coin du salon un auditeur attentif et sérieux, familiarisé avec ce genre d’études, et doué du génie de l’application, Denis Papin par exem-