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tions dont l’économie industrielle est le moins faussée par des arrangemens arbitraires développent en elles une force de production supérieure, et acquièrent une richesse qui leur donne la prépondérance dans l’ordre politique. Le principe d’autorité, appliqué sans les correctifs que lui oppose la force des choses, conduirait les peuples au communisme. L’autre système a des tendances contraires, puisque la propriété personnelle, impliquant le droit d’échanger librement ce que l’on possède, est l’essence même de la liberté économique.

Il faut insister enfin sur un genre de preuve qui frappera certainement les esprits philosophiques. J’ai dit plus haut que les actes de l’autorité, accidentels et arbitraires de leur nature, ne comportent pas une nomenclature scientifique, tandis que les faits économiques accomplis sous l’empire d’une franche liberté s’ordonnent systématiquement, d’une manière invariable et rationnelle. N’y a-t-il pas dans ce contraste un grand enseignement? dans le commun des esprits, les idées d’ordre se trouvent ordinairement associées à l’idée d’autorité, et le mot de liberté, il faut bien l’avouer, provoque instinctivement on ne sait quelle appréhension de désordre. Cela tient à ce que les coups d’autorité, de quelque main qu’ils viennent, ont pour but d’affermir le fait existant, et de procurer une quiétude momentanée à la foule imprévoyante. La liberté, droit aussi vieux que l’homme, mais fait nouveau dans le monde, n’y peut tracer les sillons qui seront fécondés plus tard sans quelques-uns de ces coups de collier qui ébranlent le sol. Ces impressions, que nous puisons dans la sphère de la politique, nous les rapportons, sans y réfléchir, dans la vie industrielle. Contrairement à nos préjugés, l’autorité en matière économique, c’est l’expédient modifiant la règle. L’ordre véritable, le plan providentiel destiné à mettre en équilibre le besoin et l’effort, le service et la récompense, c’est la liberté.

Pour faire voir en quoi M. Courcelle-Seneuil diffère de ses devanciers, j’ai dû revenir sur les généralités de la science économique. Cette partie abstraite et dogmatique, pour laquelle on nous propose le nom de ploutologie, se réduit, comme on a pu le voir, à un assez petit nombre de notions, et les lois naturelles mises en évidence paraissent si simples, si élémentaires, qu’on a peine à s’expliquer l’importance que les théoriciens y attachent. Il en est de même pour la plupart des autres sciences. En géométrie, en mécanique, en chimie, les applications découlent aussi d’un petit nombre d’axiomes; mais, quand un esprit alerte et lucide possède ces notions primordiales, il en tire des combinaisons intimes. L’ignorant, voyant les résultats, ne pourra jamais comprendre qu’ils étaient renfermés dans la petite formule, comme l’arbre immense dans le germe imperceptible.