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sait tout sans avoir rien appris. Il voulait jouer un rôle, avoir une cour, et probablement il se figurait qu’il aurait alors de meilleures occasions de rosser les gens et de les insulter. Au moment où la nécessité de remplacer l’infante Marguerite comme gouvernante des Pays-Bas fut bien reconnue, don Carlos crut que ce gouvernement était son fait. On ne sait s’il le demanda à son père; mais lorsqu’il apprit la nomination du duc d’Albe, il s’emporta, défendit au duc d’accepter, et, selon son habitude, le menaça de le tuer. De fait, il tira son poignard. Le vieux guerrier, qui en avait vu bien d’autres, le désarma et le tint en respect jusqu’à ce que le prince, voyant qu’il n’était pas le plus fort, alla cacher son désespoir et sa fureur dans son appartement. C’est peu de jours après cette scène de violence que don Carlos fut arrêté. Malheureusement à partir de ce moment les témoignages contemporains deviennent plus rares et plus obscurs.

Un des plus curieux, sinon des plus vraisemblables, vient d’un valet de chambre du prince qui a écrit la relation manuscrite des faits dont il prétend avoir été le témoin. M. Prescott en a obtenu une copie, et paraît en faire cas. On ignore le nom de l’auteur, par conséquent on ne peut guère apprécier sa véracité; mais en beaucoup de points il se montre aussi bien renseigné que les ministres étrangers qui ont pris le plus de soin pour approfondir cette ténébreuse affaire. C’est une présomption en faveur de son exactitude. On ne peut douter d’ailleurs, d’après certains détails, qu’il n’ait vécu à la cour, à portée de voir et d’apprendre beaucoup de choses inconnues au public.

Selon cette relation, don Carlos, aux approches de la Noël de l’année 1567, paraissait en proie à une agitation extraordinaire. Il dit et répéta devant ses gens qu’il voulait tuer un homme avec lequel il avait querelle. Il tint le même propos devant son oncle don Juan d’Autriche, qu’il aimait et respectait plus que personne à la cour. Le 28 décembre, toute la famille royale, selon l’usage, devait communier publiquement. La veille, don Carlos, allant se confesser, ne fit point de difficulté de révéler à l’ecclésiastique qu’il avait choisi son désir et son intention de commettre un meurtre. Épouvanté de cet aveu, le confesseur lui refusa l’absolution. Don Carlos, plus surpris qu’irrité, essaya de trouver des prêtres moins sévères, et ayant réuni en consultation jusqu’à seize moines, casuistes renommés, il leur demanda s’il ne pouvait pas recevoir l’absolution et communier avant d’expédier son ennemi. Tous répondirent avec fermeté qu’il n’y avait pas d’absolution pour lui tant qu’il entretiendrait de semblables pensées. Alors le prince se rabattit à demander qu’on voulût bien lui donner à la communion une hostie non consacrée,