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gation de faire cesser à tout prix l’isolement du petit réseau qui rattache Turin, Gênes et Alexandrie, cet état s’est vu forcé alors de tenter la percée du Mont-Cenis, œuvre gigantesque, et dont on doit souhaiter le succès pour l’honneur du génie de l’homme. Il ne faut pas s’exagérer d’ailleurs l’importance des chemins de fer au point de vue des mouvemens des armées : ils serviront à les approvisionner et à les transporter jusqu’à une certaine distance de l’ennemi; mais il sera toujours bien facile de les intercepter, et le matériel roulant dont ils exigent l’emploi pourra si souvent faire défaut, que l’usage du rail-way sera toujours très précaire dans le voisinage immédiat de l’ennemi. En ce moment, l’Autriche possède seule l’avantage de ces voies rapides jusqu’à la limite de sa frontière ; la France et le Piémont seraient obligés de subir les lenteurs d’un transbordement et d’un parcours par terre ou par mer.

Cette différence de position constitue déjà un avantage pour l’Autriche, qui aurait des chances d’écraser le Piémont par la supériorité de ses forces avant qu’il fût possible à son allié de le soutenir; mais les conditions topographiques du pays lui en offrent d’autres dont elle a cherché à tirer parti. Les deux adversaires en effet sont loin de se trouver également favorisés, parce que tous deux possèdent un versant des montagnes et une portion de la plaine, et la nature du pays rend l’invasion du Piémont plus aisée que celle de la Lombardie. La vaste étendue enfermée par les Alpes présente à quelque distance des montagnes une plaine uniformément plate. Le Pô la limite au sud à partir de son entrée dans le duché de Parme; c’est là seulement que par la réunion de nombreux affluens ce fleuve possède un volume d’eau assez grand pour acquérir une importance réelle. Toutes les rivières du Piémont offrent, quoiqu’à des degrés divers, le caractère torrentiel, partagé aussi par les ruisseaux qui ont leur source dans l’Apennin; aucune d’elles ne peut servir de ligne de défense. Les rivières de la Lombardie au contraire, ayant un cours plus long et traversant des lacs profonds, perdent de leur rapidité, coulent dans un lit plus large, et ont un volume d’eau qui crée des obstacles sérieux. Les canaux de navigation et d’arrosage, qui sont en si grand nombre dans le Milanais, forment des lignes artificielles qui ont parfois une valeur égale à celle des rivières. Les combats d’Arcole et de Lodi en 1796 ont prouvé qu’on ne peut triompher de ces difficultés qu’au prix d’héroïques efforts.

Tandis que le Piémont ne possède entre les Alpes et le Tessin que des cours d’eau qui vont converger vers la plaine d’Alexandrie, on trouve au contraire dans les duchés de Milan et de Venise, plus favorisés, une série de rivières qui coulent toutes du nord au midi, perpendiculairement à la marche des armées, et vont se jeter, les