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mement, mais des navires d’un ordre médiocre : c’est Venise. Or Venise, fondée depuis quatorze siècles, n’a jamais succombé à un siège. Jamais, il est vrai, au temps de sa splendeur comme à l’époque de sa décadence, elle n’a eu à résister aux moyens d’attaque que possède la marine actuelle, mais jamais non plus on n’a déployé pour la défendre des ressources aussi étendues que celles dont on disposerait maintenant. Il existe trois passes principales qui conduisent dans les canaux intérieurs des lagunes malgré l’ensablement progressif de la côte : celles du Lido, de Chioggia et de Malamocco. Toutes trois sont défendues par de fortes batteries munies de bons réduits et devant lesquelles il faudrait que les bâtimens chargés du débarquement des troupes vinssent passer. Le manque de fond ne permettrait de les attaquer qu’avec des navires de guerre d’un armement secondaire, et une fois ces défilés franchis, la prudence du gouvernement autrichien a établi un certain nombre d’autres forts dispersés dans les lagunes pour commander les passes intérieures des canaux.

Si l’on triomphait de tous ces obstacles, il n’y a pas de doute que la prise de Venise ne fût d’un intérêt majeur pour l’armée envahissante, parce qu’elle lui permettrait de déboucher à de grandes distances, soit à l’est, soit à l’ouest. Et dans le cas même où l’on renoncerait à agir sur la terre ferme, on verrait certainement une partie considérable de l’armée de la Lombardie s’immobiliser dans l’observation de cette ville si importante. Toutefois, à cause même de ces raisons, on devrait s’attendre à voir Venise vigoureusement défendue par l’Autriche. Il n’est pas présumable qu’on lui affecte une garnison au-dessous de 15 ou 20,000 hommes. La ville prise, il resterait d’ailleurs, pour en rendre la conquête utile, à se mettre en possession du fort Malghera, entouré de marais peu profonds, mais fangeux, et presque inabordable par terre comme par mer. Il commande absolument la communication directe de Venise avec le continent; le chemin de fer et le pont immense jeté sur les lagunes aboutissent à ses glacis. Dans la longue résistance que fit cette ville illustre après la perte de toutes les espérances de l’Italie, le fort Malghera fut longtemps et vainement assiégé par les Autrichiens, et ceux-ci avaient un intérêt immense à s’en emparer pour couper aux révoltés toute communication avec la terre ferme; ils ne purent cependant y réussir par la force, et il fallut que l’épuisement des défenseurs, décimés par la fièvre et le choléra, les décidât spontanément à l’abandonner. C’est la possession du fort Malghera qui seule peut permettre à Venise de servir de base d’opération à une armée. Pour que le théâtre de la guerre put s’établir dans la Vénétie avant la conquête du Milanais, il faudrait donc que l’Autriche subît, dès