ciété européenne. Ce sont les congrès qui fixent ou amendent ce code, aussi
nécessaire à la société des états que les lois politiques et civiles le sont, au
sein de chaque état, à la société des personnes. Sans doute, dans l’Europe
moderne, on ne reconnaît point aux congrès le caractère d’une haute cour
amphictyonique devant laquelle devraient s’incliner toutes les souverainetés
particulières, et dont les jugemens seraient obligatoires pour toutes les puissances.
L’on avait tenté, au congrès de Vienne, de créer un système qui mît
l’Europe sous un tribunal arbitral de cette sorte ; mais la tentative n’aboutit
point, et nous croyons qu’il faut s’en applaudir, car le principe de l’indépendance
des états, avec les diversités de race, de religion et de langues qui
régnent sur notre continent, est bien préférable, pour les progrès de la civilisation,
à une fédération arbitraire, factice, et qui serait inévitablement
oppressive. Cependant, si les congrès n’ont point l’autorité de ces conseils
amphictyoniques qui lient absolument et d’avance à leurs résolutions ceux
qui y participent, il faut reconnaître que l’opinion tend de plus en plus à
les en rapprocher. Par une sorte de convention tacite, qui n’est point légalement
obligatoire à la vérité, mais qui a une grande valeur morale, il semble
admis qu’en entrant dans un congrès on confie à ses décisions pacifiques
la solution des questions que l’on y apporte. L’on comprend aisément qu’il
en soit ainsi lorsque l’on considère comment les congrès se composent et ce
qu’ils représentent. Ils se composent ou des souverains eux-mêmes, ou de
leurs plénipotentiaires spéciaux, et lorsque les cinq grandes puissances s’y
réunissent, il est évident qu’ils sont la représentation la plus complète et la
plus élevée des intérêts, des forces et de l’opinion de l’Europe. Ce serait
donc une extrême imprudence de la part d’un gouvernement de provoquer
ou d’accepter la réunion d’un congrès sans être décidé à se ranger pacifiquement
à l’opinion qui y sera prédominante. Cela est évident, surtout si
l’objet même du congrès était, non de faire une paix, mais de prévenir une
guerre. Une puissance qui y entrerait avec le parti-pris de recourir à la
guerre, dans le cas où elle ne pourrait faire prévaloir ses idées au sein du
congrès, commettrait une incompréhensible maladresse. Elle s’exposerait
en effet à sortir du congrès isolée, par conséquent affaiblie moralement et
matériellement, et par la manifestation contraire des opinions de la majorité,
et par les alliances qui pendant les négociations pourraient se former
contre elle. Pour une telle puissance et dans cette hypothèse mieux vaudrait
mille fois la guerre avant le congrès que la guerre après. Il faut donc, au
point de vue le plus général, regarder les congrès comme des combinaisons
politiques de la plus sérieuse importance, et l’on ne saurait prêter à aucun
gouvernement sensé la pensée absurde et désastreuse de chercher une ruse
de guerre dans cette machine de paix.
Pour la paix, nous trouvons encore un avantage particulier à la réunion d’un congrès dans les circonstances actuelles. Nous nous sommes souvent plaints, nous nous plaignons encore de l’ignorance où est resté le public en France touchant la vraie nature du péril que court la paix. Que la guerre ait été projetée quelque part en Europe, tout le monde le sait depuis trois mois, et, pour parler comme lord Clarendon, il y aurait une affectation puérile à feindre le doute à cet égard ; mais, pour être acceptée par la con-