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en 1847. L’unanimité des sentimens qui animent les hommes politiques de la France envers l’Italie n’est donc plus contestée ; mais l’unanimité des sentimens laisse place à toutes les libertés et à toutes les diversités d’appréciation sur les questions de conduite. Or c’est précisément sur la question de conduite que l’immense majorité de la France se sépare aujourd’hui de ceux qui, soit au dedans par leurs menées, soit en Italie par leurs excitations, chercheraient à l’entraîner aveuglément et immédiatement dans la guerre.

Nous souhaiterions ardemment que nos amis d’Italie, dont le patriotisme nous paraît si admirable, voulussent bien réfléchir de sang-froid et avec une bienveillante impartialité sur les considérations qui doivent diriger la France dans l’appréciation de cette question de conduite. La France ne peut pas envisager la guerre du même point de vue que l’Italie. La portion de l’Italie qui est exaspérée par ses souffrances, celle qu’un de nos amis, M. John Lemoinne, qui vient de réimprimer ses lettres spirituelles et éloquentes sur les affaires de Rome, appelait un jour l’Irlande de l’Europe, ne croit avoir rien à perdre dans de nouvelles convulsions où s’étourdiraient ses douleurs. La portion indépendante de l’Italie, celle que lord Derby appelait récemment une oasis de liberté, le Piémont, n’expose dans une guerre où elle serait soutenue par la France qu’un médiocre enjeu contre la chance d’un immense profit. Le Piémont est bien sûr, sous la protection de l’Europe, de survivre, comme en 1849, à une défaite. La France, avant de tenter de tels hasards, doit, au dedans comme au dehors, aviser à d’autres chances, pourvoir à des intérêts bien plus vastes et bien plus complexes. La guerre surtout ne lui étant point imposée par une nécessité qui lui soit en quelque sorte personnelle, elle doit avant tout en peser la moralité. La morale politique de notre temps permet-elle par exemple de faire la guerre par choix, même sous les prétextes les plus chevaleresques ? L’histoire des régimes anciens abonde en guerres de ce genre : en cite-t-on qui, même au point de vue militaire, aient eu une fin heureuse ? Supposons ce doute tranché, une question de philosophie politique s’élève à propos de l’Italie : le concours armé d’une nation étrangère est-il le moyen naturel, sain, efficace de créer et d’organiser une nationalité ? Passons encore, arrivons aux problèmes pratiques que suscite une telle entreprise. C’est en vain que les Italiens disent, comme nous le voyons à regret par le récent discorso de M. Salvagnoli, della Indipendenza d’Italia, que l’Italie fait passer aujourd’hui l’indépendance avant la liberté. Nous croyons qu’ils se trompent, et que pour arriver plus sûrement à l’indépendance, c’est-à-dire à l’expulsion de l’Autriche du Lombard-Vénitien, il vaudrait mieux pour eux passer par la liberté, c’est-à-dire par l’autonomie réelle des états déjà indépendans, et qui, par une solution diplomatique et par conséquent pacifique, peuvent être affranchis de l’influence autrichienne. Mais soit, commençons par l’indépendance. Il n’y aura pas d’indépendance assurée pour l’Italie sans l’organisation immédiate de la liberté, sans l’établissement du self-government, car des gouvernemens absolus seraient soumis à des influences étrangères, ou par leurs luttes et leurs alliances pourraient ramener à chaque instant, comme en témoigne toute l’histoire de la péninsule, l’étranger en Italie. Ainsi, nous, France, quand nous parlons de