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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/765

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M. Gounod, et dans toute la scène dont nous venons de parler, on ne remarque guère qu’une harmonie fine et choisie, et parfois des bouffées d’accens et d’accords d’une suavité pénétrante qui rappelle le style de Mozart, particulièrement l’admirable quatuor du premier acte de Don Juan, — non ti fidar o misera, — si indignement chanté au Théâtre-Italien. Oui, je ne crains pas de le dire, dans les premiers accords de cette scène, dans le récit que fait Marguerite à Faust de sa modeste existence, dans les dernières mesures, où les quatre voix se réunissent et se fondent, on sent comme un parfum de la musique de Mozart sans imitation servile ; mais il n’y a pas de morceau à proprement parler. Est-ce un système de la part de M. Gounod ? est-ce pénurie d’idées ? dans les arts comme dans la politique, nous croyons à des caractères, à des tempéramens, et non pas à des théories édifiées a priori. Les mêmes qualités gracieuses et le même défaut d’unité se retrouvent dans la scène d’amour qui suit entre Faust et Marguerite, qui se retire dans sa chambrette. Ce n’est pas un duo, c’est un dialogue libre et passionné dont l’accompagnement surtout renferme des harmonies et des sonorités ravissantes. Je recommande tout cela aux amateurs.

La ballade au rouet que chante au commencement du quatrième acte la pauvre Marguerite délaissée, — Il ne revient pas, — n’a pas non plus de caractère mélodique, et l’on y regrette la touchante inspiration de Schubert, dont M. Gounod a pourtant essayé d’imiter une certaine progression ascendante et chromatique, qui est d’un si bel effet dans la ballade du compositeur allemand ; mais le chœur de soldats qui accompagnent Valentin, et qu’annonce une belle marche militaire, est un chef-d’œuvre du genre. J’aime surtout la seconde phrase complémentaire qui sert de transition au retour du premier motif, ravivé alors par une instrumentation plus chaude et plus abondante. Ce chœur est redemandé tous les soirs par le public charmé. Il n’en advient pas autant à la sérénade que Méphistophélès vient ricaner à la porte de Marguerite, car c’est un morceau insignifiant, qui prouve décidément que le diable ne porte pas bonheur à M. Gounod. Le trio du duel entre Valentin et Faust, aidé sournoisement de Méphistophélès, aurait pu être d’une couleur plus franche et plus satanique. Je préfère la scène où Valentin expirant maudit sa sœur en des termes qui bravent l’honnêteté dans le texte allemand, et dont on n’a pu donné au Théâtre-Lyrique qu’une traduction libre. Ce récitatif haletant de Valentin avec les murmures du chœur qui en absorbe les éclats est d’un bel effet sans doute, mais trop écourté et laissant à désirer un développement plus grandiose. À ce tableau pathétique en succède un autre qui est la contre-partie : je veux parler de l’admirable scène qui représente Marguerite priant dans l’église, et qui, dans le poème de Goethe, est d’une beauté sublime. Il ne nous semble pas que M. Gounod ait tiré tout. Le parti possible du contraste que lui offrait cette situation unique, dont on a tant abusé depuis. Les reproches amers du mauvais esprit, les sanglots de la pauvre fille repentante et le chœur invisible qui chante la terrible prose du Dies Iræ avec l’accompagnement de l’orgue ne forment pas, dans la composition de M. Gounod, un ensemble puissant à la hauteur de la conception du poète. Je louerai cependant le cri de miséricorde que pousse Marguerite éplorée, s’efforçant d’échapper à l’oppression du mauvais esprit, qui se tient derrière elle immobile et invisible comme un remords.