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lique zélé, roi infatué, la combattit, et bientôt Saint-Germain le vit recevoir l’hospitalité fastueuse du grand roi, chute dont ni lui ni ses descendans ne purent se relever. Pendant qu’il tombait ainsi, son gendre Guillaume, simple stathouder de Hollande, arrivait en Angleterre, devenait roi, se faisait chef du protestantisme, défenseur, contre Louis XIV, de l’indépendance du continent, et, malgré les difficultés d’une pareille entreprise, il donnait la consécration à ce système, qui depuis cent soixante-dix ans fait la force et la grandeur de l’Angleterre. Telle fut la différence du succès entre les deux entreprises : l’une était contraire, l’autre était conforme à l’ascendant de l’histoire moderne tel qu’il se prononçait dans une de ses phases mémorables. De ces deux hommes d’état, ni l’un ni l’autre n’avait conscience des nécessités abstraites qui pesaient fatalement sur la situation, tous deux obéissaient à un empirisme; mais l’un le ressentait avec un esprit borné et sous des influences qui devenaient caduques, l’autre avec un esprit puissant et ferme et sous des influences pleines de l’avenir qui se préparait.

La théorie donne tort à Jacques II, qui a échoué; elle ne donne pas moins tort à Philippe II d’Espagne, qui a réussi. Philippe, héritier du pouvoir absolu de son père et appuyé sur l’inquisition, réussit à soustraire l’Espagne au mouvement qui entraînait le reste de l’Europe. Il ne fallait rien de moins que la conspiration de ce double pouvoir pour suspendre, dans ce magnifique pays et parmi cette vigoureuse population, que Pline caractérisait par la vchementia cordis, le développement que présageaient l’éclat et la grandeur de l’époque de Ferdinand, d’Isabelle et de Charles-Quint. Le génie national fut provisoirement étouffé; le silence s’étendit sur l’Espagne : ni les sciences ni les lettres ne comptèrent plus de grands noms espagnols; aucune expansion ne sortit des Pyrénées, et, pendant que tout grandissait au dehors d’elle, tout languissait ou dépérissait au dedans. Salutaire politique, disent les uns, qui garda l’Espagne dans l’innocence des mœurs du moyen âge; funeste politique, disent les autres, qui empêcha l’essor d’un grand peuple et priva l’Europe du concours de l’Espagne dans l’œuvre de civilisation commune! D’où viendra le jugement entre ces deux assertions contraires? Il viendra de ce qui était alors de l’avenir, de ce qui est aujourd’hui du présent. Philippe II a été au fond si impuissant que, malgré la force et la durée de la compression, les choses se renouent; rien n’a été empêché : la révolution, les sciences et les lettres rentrent dans l’Espagne comme un fleuve courroucé a travers une digue démantelée.

On a dit qu’au XVIIe siècle l’Angleterre et la France avaient exécuté une concentration de pouvoir devenue nécessaire : l’une sous la