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l’histoire de cette vaillante nation, dont le passé est si long, qui a déjà fait tant de fois ses preuves dans les grands succès et dans les grands revers, et dont on peut toujours dire, comme Horace : Non paventis funera Galliœ? Elle n’allait bientôt que trop le prouver. De tout cela, les nations victorieuses ou spectatrices n’avaient non plus grand souci, ou du moins aucun discrédit n’en résultait à leurs yeux pour ces brillans vaincus du XVIIIe siècle. Loin de là, en aucun temps l’attrait pour la France et son influence morale ne furent aussi puissans. Les peuples tournaient instinctivement les yeux vers elle; les rois courtisaient ses philosophes, et venaient faire un pèlerinage à Paris. Jamais spectacle plus saisissant ne fut donné qu’à ce moment solennel qui précéda la révolution, et où le murmure de l’ouragan prochain se faisait déjà entendre; jamais nation abandonnée à elle-même ne se sentit animée d’un plus sincère et plus noble enthousiasme; jamais nation ne témoigna mieux des trésors déposés en elle par le temps et par l’histoire que dans cet essor vers les idées les plus universelles de raison, d’équité, de fraternité et de juste gouvernement.

Ce ne sont pas quelques batailles perdues qui empêcheront ma profonde admiration pour le XVIIIe siècle; ce ne sont pas non plus quelques batailles gagnées, tristement compensées d’ailleurs par de plus grandes défaites, qui m’empêcheront de considérer d’un regard tout différent une époque encore plus voisine de nous, celle du premier empire. Elle a excité de vives et bruyantes approbations, qui sont loin d’avoir cessé. Je n’ai aucun désir de les discuter ici; je veux seulement remarquer, à titre d’exemple mis à côté des précédens, que, quand le premier consul, empereur bientôt après, eut à opter entre la politique de la paix et la politique de la guerre et de la conquête, peu de choix furent aussi malheureux que le sien et infligèrent à l’Europe de plus grands désastres. Non-seulement cette politique de guerre et de conquête échoua, mais encore elle arrêta pendant une quinzaine d’années l’essor de l’industrie, de la richesse, des liaisons internationales, des lettres et de la pensée. Telle fut la confusion qui en résulta que la France, naturellement centre, appui et refuge, était devenue l’objet des haines furieuses de l’Europe entière. La renaissance dont nous avons été témoins vers le premier tiers de la restauration avait son point marqué vers le milieu de l’ère impériale, si ce régime n’avait pas, faisant fausse route, entraîné toute activité vers l’œuvre, heureusement impossible, de la conquête de l’Occident.

Par ce peu d’exemples, j’ai voulu montrer comment l’état et les hommes d’état, toujours nécessaires, sont tantôt très utiles et tantôt très nuisibles, suivant qu’ils concourent ou ne concourent pas avec les forces innées de la société. Les connaître, ces forces innées, est