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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/831

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de confédération militaire[1], retranchés derrière des roches à peu près inaccessibles, et redoutés des autorités turques, qui, après avoir vainement cherché à les déloger de leurs formidables positions, furent contraints de reconnaître hautement leur indépendance. Afin de se procurer les vivres que la stérile montagne ne pouvait leur donner en suffisante quantité, les Souliotes s’emparèrent d’une partie des vallées et des plaines adjacentes, dont les habitans, au nombre de deux ou trois mille, reçurent le nom de Parasouliotes, ou Souliotes adjoints. La population de la montagne occupait quatre villages, Kiapha, Avarikos, Samoniva et Souli, situés sur de hautes plates-formes, qu’on ne peut atteindre qu’en franchissant un espace de quatre milles, entrecoupé de rochers et d’abîmes. De mille en mille, un pyrgos[2] se dressait à l’endroit le plus dangereux du défilé. Les quatre villages étaient reliés entre eux par des ponts de bois jetés sur des précipices profonds. Kiapha s’élevait, au premier mille, sur le bord d’un épouvantable ravin, par lequel les eaux pluviales se précipitent dans l’Achéron. Le pic de Kounghi, couronné par l’église dédiée à sainte Vénérande, dominait ce village, qui était la clé de toutes les autres positions. Avarikos et Samoniva étaient suspendus dans les airs au second et au troisième mille. Enfin le Grand-Souli ou Kakosouli se perdait à une hauteur plus grande encore. Ce dernier était habité par les familles les plus puissantes et les plus anciennes de la nation, notamment par les Tsavellas, les Botzaris, les Dracos, que la tradition faisait remonter à la plus haute antiquité.

Quelques amas de décombres informes, quelques pans de murs calcinés par l’incendie, m’indiquèrent seuls l’emplacement de ces villages. C’est là tout ce qui reste aujourd’hui de la fameuse tribu des Souliotes, dont le chef héroïque. Photos Tsavellas, a laissé dans le souvenir des populations de l’Épire d’ineffaçables traces. N’ayant atteint qu’après le coucher du soleil le rocher au sommet duquel s’élevait Kiapha, je dus remettre au lendemain l’ascension de Kakosouli. Nous nous installâmes tant bien que mal, ma petite caravane et moi, dans les ruines de la forteresse qu’Ali-Pacha avait fait construire en cet endroit. Ces ruines sont les seules qui laissent deviner ce que fut autrefois l’édifice, et de temps à autre une dizaine d’Albanais viennent encore monter une garde inutile entre ces vieilles

  1. Les origines de la confédération souliote ont été racontées par Perrévos, Histoire de Souli et de Parga (Ἱστορία τοῦ Σουλίου καὶ τῆς Πάργας). Né dans le canton de Zagori (ancienne Perrhébie), voisin de Janina, Perrévos a été témoin des événemens qu’il raconte. Il prit une part active aux guerres de l’indépendance et fut plus tard, en récompense de ses services, promu au grade de général par le gouvernement grec. Il publia dans sa langue l’Histoire de Souli et de Parga à Venise, 1815.
  2. Sorte de tour fortifiée. On en rencontre à peu près sur toutes les positions élevées de la Grèce.