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par lui, était dirigée contre la montagne de Souli, dont les hôtes redoutables avaient récemment fait subir au satrape de l’Épire d’humiliantes défaites. Ali était décidé à tirer de cet affront une vengeance terrible. afin de tromper plus sûrement les Souliotes, avec lesquels il avait feint de se réconcilier, il leur demanda du secours. Ceux-ci lui envoyèrent fièrement soixante-dix hommes, commandés par leur plus vaillant capitaine, Lampros Tsavellas. Lampros se fit accompagner de son fils Photos, afin de l’initier au métier des armes pendant cette expédition.

Photos, âgé de quinze ans à peine, sortait de la montagne pour la première fois. Il ne s’était jusque-là occupé que des exercices héroïques pratiqués par les klephtes en temps de paix. Les danses guerrières, l’antique jeu du disque, les improvisations poétiques, la chasse, tels étaient les nobles délassemens auxquels les Souliotes avaient coutume de se livrer. Lampros et sa petite troupe rejoignirent le pacha sur les bords de la Thyamis, dans une grande plaine où il campait en les attendant. Le lendemain de leur arrivée, les cavaliers de l’avant-garde d’Ali se mirent en route. Ils revinrent au bout de quelques heures, annonçant un brillant avantage remporté par eux sur les postes avancés d’Argyrocastron. Ali, feignant de trouver dans le succès de cette première rencontre un heureux présage pour le reste de la campagne, fit halte, et voulut que la fin de la journée se passât en réjouissances. Lorsque le soleil eut à moitié disparu derrière les hautes cimes du Pinde, et que la chaleur du jour fut tombée, les Albanais invitèrent les Souliotes à prendre part à une sorte de course usitée en Grèce de toute antiquité. Cette course consiste à franchir d’un bond le plus large espace possible, en partant d’une limite tracée sur le terrain, et à la suite d’un impétueux élan. Les Souliotes, renommés pour leur agilité prodigieuse, consentirent, afin d’égaliser la partie, à ce que la dispute s’engageât par groupes d’un Souliote contre trois Albanais. Cet arrangement excitait au dernier point leur émulation et flattait singulièrement leur amour-propre. Les prix destinés aux vainqueurs étant fixés, tous se dépouillèrent de leurs armes, afin que rien n’entravât la rapidité de leurs mouvemens. Ali voulut être l’arbitre de la lutte; il se plaça sur un tertre élevé, d’où son regard embrassait toute la plaine. Bientôt la course commença avec un tumulte immense. Les Souliotes remportèrent dès le début de brillans avantages; Photos se distinguait entre tous par sa légèreté merveilleuse. Dans l’entraînement et l’ivresse du succès, les montagnards ne s’aperçurent pas que l’espace se resserrait insensiblement autour d’eux, et que la multitude des spectateurs, comme poussée par la curiosité, franchissait peu à peu les limites tracées autour de la lice. Le jeune Tsavellas, ayant dépassé tous les autres par un saut prodigieux, fut