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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/858

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le plus grand nombre, sous la conduite de Tsavellas, se dirigèrent vers Parga, d’autres vers les monts Djoumerca, afin de passer de là en Thessalie et de se joindre aux bandes insoumises du belliqueux armatole Palœopoulo; d’autres encore suivirent Koutzonicas à Zalongos, car ce dernier, touché du désastre de la patrie, déplorait la faute qu’il avait commise, et fit de nobles efforts pour la racheter par le sacrifice de sa vie.

Seuls, le moine Samuel et cinq Souliotes refusèrent de prendre part à la capitulation. Après avoir disputé pied à pied l’entrée de la forteresse de Kounghi à la foule des assaillans, Samuel mit le feu aux poudres, se fit sauter avec ses compagnons, et couronna tragiquement par ce dernier fait d’armes une série d’exploits qui rappellent à l’esprit les temps héroïques de la Grèce. Une chanson populaire, recueillie par M. Zampelios, raconte avec une touchante naïveté ce glorieux sacrifice :


« Un oiseau s’envola de Souli; ses yeux étaient troublés par les pleurs; ses ailes étaient noires. Les Parguinotes lui demandèrent : — Petit oiseau, d’où viens-tu? où vas-tu, petit oiseau?

« — Je viens de Souli, et je m’en vais dans le pays des Francs.

« — Donne-nous de bonnes nouvelles, petit oiseau.

« — Tristes nouvelles! Ils ont pris Souli; ils ont brûlé le moine. »


A peine cette explosion eut-elle assuré à Vély-Pacha la possession définitive de la montagne, que cinq mille Albanais s’élancèrent à la poursuite des chrétiens sur la route de Parga, car Vély avait reçu de son père l’ordre d’envoyer Photos mort ou vif à Janina. Par bonheur, les Souliotes avaient fait diligence; quelques-uns d’entre eux seulement, parmi lesquels se trouvaient Dimos Dracos et Photos Tsavellas, étaient encore sur les terres ottomanes, à quelques pas de la frontière, quand les Albanais de Vély-Pacha les atteignirent. Vingt cavaliers se précipitant sur eux de toute la vitesse de leurs chevaux, les Souliotes se retournèrent et firent feu. Photos, comptant bien ne pas survivre à ce dernier combat, s’élança au milieu des cavaliers albanais. Heureusement Dracos le suivit, lui fit un rempart de son corps, et parvint peu à peu à le repousser sur le territoire de Parga, dont quelques pas seulement les séparaient, et sur lequel les Turcs n’osèrent les poursuivre.

Ali, furieux d’avoir manqué cette précieuse capture, tourna sa rage contre les Souliotes, qui, sur la foi des traités, s’étaient retirés paisiblement en divers lieux de l’Epire. Il déchaîna sur eux les Albanais, qui, les surprenant en détail et sans défense, en firent un massacre général, sans épargner ni l’âge ni le sexe. Deux cents infortunés à peine échappèrent à cette tuerie, rejoignirent Photos, et se rendirent peu de temps après avec lui à Corfou. Les Russes leur