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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/87

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dévorées, y perd tout ou partie de la sienne ; en cela non plus, je ne me suis pas trompé. — Je composai sciemment ce ministère des divers élémens qui constituaient alors le grand parti libéral, et je crois qu’on devait agir ainsi, et qu’on devra agir de même en tout temps et en tout parti; mais le cours de la révolution qui montait divisa bientôt ce ministère, — nous l’avions tous prévu, — et il devint bientôt en apparence, puis en réalité, un ministère de coalition, la pire espèce des combinaisons de gouvernement. Alors nous donnâmes tous notre démission, unanimes en cela seul. Les difficultés croissantes de la situation empêchèrent le prince, qui était au camp, d’accepter notre démission aussitôt, et nous restâmes démissionnaires, agonisans, impuissans, tout un mois et demi encore. Ce fut là aussi un cruel, mais strict devoir, et ce fut aussi un préjudice grave, non-seulement pour nous, mais, ce qui est pis, pour tous et pour toutes choses. Tombés le jour même où arriva à Turin la nouvelle du désastre de Custoza, qui n’eut d’égal que celui de Novare, nous subîmes tous la responsabilité de ce malheur, chacun se trouvant responsable de ses collègues, séparés pourtant par les opinions et en désaccord dans les intentions et les mesures exécutives. Cette position était la conséquence naturelle de notre sacrifice primitif, du péril auquel chacun de nous s’était soumis avec pleine science et consentement. Les sacrifices sont toujours plus pénibles à faire jour par jour, un à un, que lorsqu’on les accepte en masse dès le principe. Je ne prétends point n’avoir pas ressenti les colères que savent exciter chez les plus forts d’expérience les injures et les calomnies de leurs ennemis, et surtout le silence, le délaissement, la trahison de leurs amis. Dieu et un petit nombre de ces derniers me préservèrent de publier mes réponses, souvent commencées et toujours abandonnées….. De tous les écrits de ce genre qui parurent alors, renvoyant de l’un à l’autre les reproches et les accusations, aucun ne m’a fait regretter d’avoir gardé le silence, aucun ne m’a semblé avoir été utile à la patrie. — Je l’ai servie dans les chambres qui se succédèrent dès lors jusqu’à ce jour, à l’exception de deux ou trois séances, que je manquai à l’occasion d’une douleur intime à laquelle j’étais préparé, mais qui fut bien cruelle. Orateur sans expérience, éprouvant la difficulté bien connue d’acquérir à soixante ans une faculté nouvelle, et sentant du reste que je ne pourrais persuader ni des adversaires trop éloignés de mes idées, ni mes amis, qui ne les adoptaient presque jamais, je parlai peu et rarement, tout au plus pour protester contre les erreurs qui donnaient naissance à toutes celles que l’on commettait alors. Et je votai contre elles, souvent avec bien peu de députés, et parfois presque seul. Dans une mission temporaire qui me fut confiée en mai 1849 par le gouvernement où siégeaient mes amis politiques, je tentai de persuader le pape Pie IX et son ministre de faire comme nous, et de se tenir attaché au statut qu’il avait accordé. Nous n’avions pas l’espoir de réussir; ce fut du moins une protestation honorable de la part de ce gouvernement et de ce roi, qui demeurent et demeureront inébranlables dans la voie droite, où Dieu veuille faire bientôt revenir les autres. »


Ainsi le ministre, pour avoir persisté dans sa déférence politique envers le pape, n’a pu accomplir aucune des grandes choses qu’a-