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monieux. Deux jeunes gens, pour épuiser mes souvenirs classiques, tels que je me représente ces deux frères qui, à je ne sais quelle fête de la Grèce, s’attelèrent au char de leur mère, montraient derrière le visage paternel des visages pleins de noblesse et d’honnêteté. Enfin ce groupe était complété par une femme âgée déjà, mais de la plus frappante beauté. Ce n’étaient plus seulement les souvenirs des âges païens qu’évoquait cette imposante et gracieuse figure, c’était tout un autre ordre de pensées. On sentait que le souffle des espérances et des douleurs qui ont changé ce monde avait passé sur ces traits, réguliers comme des traits sculptés par Phidias. Dans cette matrone antique, il y avait une mère chrétienne. J’admirais cette réunion, de belles créatures qui s’offraient ainsi à mes yeux, et pourtant je n’avais pas vu dans cette famille l’être qui devait une fois encore exercer une action rapide, mais violente, sur mes destinées.

« A l’heure du souper, mon hôte me présenta sa fille, qui s’appelait Larissa. Un motif d’une nature particulière détermina chez moi tout d’abord une impression des plus vives à l’aspect de cette charmante enfant. Je crus voir, avec quelque chose pourtant de plus candide, de plus jeune et de plus idéal, une personne que j’avais connue en Afrique. Pendant le repas, on m’avait placé près de la jeune Grecque; je sentais sans cesse mes regards attirés vers les siens; je la contemplais avec une ardente curiosité, puis je tombais dans une rêverie pleine de charmes. Notre souper se prolongeait, mon hôte avait voulu me fêter. Ma qualité de chrétien, mon humeur bienveillante, l’avaient séduit, et il avait fait couler pour moi des vins blonds comme la chevelure de sa fille. Entouré de cette belle et riante famille, séparé seulement de ma jolie voisine par une coupe qu’elle emplissait elle-même avec une grâce d’Hébé, je me sentis peu à peu sous l’influence d’une exaltation que je me rappelle encore avec plaisir. Ce à banquet de la vie, » comme disent les poètes, qui m’était apparu presque toujours comme un repas sévèrement claustral ou comme une sanglante orgie, me paraissait ce soir-là un festin plein d’attrait, de douceur et de bonhomie. Toute sorte de pensées qui m’étaient inconnues, et dont jamais je ne me serais cru capable après les terribles images qui avaient passé devant mes yeux, montaient de mon cœur à ma tête en agitant joyeusement leurs ailes. Larissa, suivant la mode grecque, avait une parure de fleurs. Une guirlande de roses rouges était mêlée à la natte qui couronnait sa tête, et un bouquet de même nature que cette guirlande s’épanouissait dans les plis de sa robe. Je me rappelai un usage antique, et je lui demandai d’effeuiller une des fleurs de ce bouquet dans une coupe que je voulais vider en son honneur. Elle obéit à mon désir.