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oserait proposer d’appliquer le code Napoléon aux Arabes? Des lois qui feraient ainsi violence à la nature et aux hommes se dissoudraient par les exceptions et par les résistances.

On hésite néanmoins à qualifier l’Algérie de colonie : c’est un mot qui porte l’esprit vers des horizons lointains. L’Algérie est si près de la France, à quelques heures par le télégraphe électrique, à deux ou trois jours par les bateaux à vapeur! Grâce à cette proximité, l’élément français semble appelé à y dominer par l’influence plus encore que par le nombre, et les institutions françaises y fleurissent et fructifient aussi bien que dans le pays natal. Cette vue est juste, et la création d’un ministère de l’Algérie et des colonies la consacre : aussi l’accepterions-nous volontiers, si la langue politique avait un nom pour exprimer une position intermédiaire entre l’état de métropole et celui de colonie. Malheureusement ce nom manque, et plutôt que de recourir à de longues et obscures périphrases, nous comprenons sans scrupule l’Algérie parmi les colonies françaises, parce que ce rapprochement, suffisamment juste au fond, doit lui profiter, et ne peut lui nuire.

Pour bien exprimer la nuance propre à l’Algérie, nous adopterons le mot de province, comme rappelant une organisation familière à tous les esprits, et qui a laissé de profondes traces dans nos mœurs et notre langage. Ce qu’étaient, dans les siècles qui précédèrent la révolution de 1789, la Bretagne, la Guienne et leurs pareilles, c’est-à-dire de petits états distincts, à l’origine adversaires, puis satellites et alliés, enfin annexes et parties intégrantes de la monarchie française, et en même temps divers par la physionomie, par des lois locales, surtout par une certaine liberté d’administration intérieure, voilà fidèlement ce que doit être l’Algérie, la plus récemment conquise des provinces françaises. La tendance naturelle de toute province à se modeler sur le type du royaume souverain porte un nom qui est à la fois un principe, un drapeau et un programme, — le nom d’assimilation progressive. N’acceptons pas d’autre devise, soit pour l’Algérie, soit pour toute autre colonie. À ce principe demandons, comme première et immédiate conséquence, une réprobation énergique de toute séparation politique et commerciale, même pour le plus lointain avenir. La France saura éviter les torts de l’Angleterre envers les colons de l’Amérique du Nord, et ceux de l’Espagne et du Portugal envers l’Amérique du Sud. La rupture avec les colonies françaises serait surtout fatale à celles-ci, trop faibles pour se protéger elles-mêmes; la rupture avec l’Algérie serait funeste surtout à la France.

Contre cette conclusion se récrieront peut-être quelques lecteurs, heureux de penser que leur patrie se dégagerait d’un boulet au