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reste. Inspirons-nous des mêmes sentimens en Afrique; gardons-nous de vouloir plier de force à nos habitudes civilisées d’Europe une nature immuable et des sociétés séculaires; plions-nous quelque peu nous-mêmes aux exigences d’un milieu si nouveau, comprenons-le du moins, et nous agirons sur lui efficacement. Contentons-nous de préparer pour l’avenir l’union féconde des deux races. La seule unité à poursuivre aujourd’hui consiste dans la reconnaissance de l’autorité française par l’obéissance à ses lois, par le paiement de l’impôt et le respect de la tranquillité publique. D’année en année, de siècle en siècle, la liberté amènera la fusion par l’échange des produits, le lien des intérêts, la circulation mêlée des personnes. Peut-être un jour des mariages y aideront. La patience, en ceci comme ailleurs, est le gage du succès.

Au point de vue politique et administratif, les indigènes de l’Algérie se divisent en deux classes, caractérisées par le culte mieux encore que par la race : les Israélites et les musulmans, les premiers homogènes par le sang, la foi et les mœurs, les seconds divisés en plusieurs groupes, suivant la diversité d’origine.

Sans être bien nombreux (cent mille environ, tant dans les tribus que dans les villes), les Israélites jouent, dans le nord de l’Afrique comme partout, le rôle économique fort important que leur assure le génie du commerce, fondé sur les instincts natifs, les nécessités historiques et les traditions héréditaires. La concurrence de leur incessant colportage, favorisée par une vie sobre, est fort importune aux marchands européens, et leur industrieuse activité les enrichit rapidement. Détenteurs du numéraire, ils le font valoir avec une habileté qui leur attire les malédictions des emprunteurs et de sévères qualifications de la part du public; ils y répondent par l’exemple des capitalistes chrétiens. Les Juifs algériens apprécient généralement la situation que leur a faite la conquête française, et s’ils ne peuvent toujours étouffer les antipathies populaires, ils les dominent en se montrant dignes du choix du gouvernement, qui les appelle dans les consistoires, les chambres de commerce, les conseils municipaux et généraux. Mieux que les Européens, ils se passent de l’état pour la fondation et l’entretien des synagogues et des cimetières, pour l’assistance mutuelle. Délivrés par nous des Turcs, protégés contre les Arabes, les Israélites savent qu’ils ont tout gagné à notre arrivée, et qu’un retour de fortune leur ferait tout perdre. Ils sont sincèrement ralliés à notre cause, et prouvent leur confiance dans l’avenir en achetant des immeubles et s’engageant même dans l’industrie agricole. Enfin, signe qui n’est pas sans valeur, plusieurs d’entre eux adoptent et surtout permettent à leurs enfans tout ou partie du costume français. Aux tribunaux des rabbins, supprimés sans difficulté dès 1842, ont succédé avec une adhésion générale nos tri-