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bunaux civils et de commerce. En 1858, on a vu un premier Juif indigène reçu avocat. Les déclarations de naissance et de décès ont lieu régulièrement à l’état civil, même la célébration des mariages, ce qui abolit du même coup la polygamie, le divorce et la répudiation légale. À ce degré de préparation, que faudrait-il faire de plus en faveur des Israélites, sinon leur accorder une assimilation pleine et entière avec les Français? L’élite d’entre eux la réclame, et l’heure nous paraît venue de la prononcer. Depuis longtemps, on a proposé de l’accorder en détail à ceux qui la demanderaient : tant de réserve n’est plus nécessaire, alors que la pratique a pour ainsi dire devancé la loi. En une race amie, où règne une parfaite unité, il serait impolitique d’introduire la division comme parmi des ennemis.

Tout dans l’assimilation ne sera pas profit pour les Israélites, ils s’y attendent. Peut-être n’entrevoient-ils pas que, cessant de faire une classe à part, ils perdront le droit à une représentation spéciale au sein des diverses assemblées où ils figurent aujourd’hui en vertu de leur origine, et qu’ils devront y reconquérir leur place par leur seul mérite. Ils connaissent bien toutefois et acceptent sans réserve l’obligation de participer au service de la milice et à celui du recrutement militaire, quand l’un et l’autre existeront pour les Européens nés en Algérie, pour les créoles, disons le mot, quoique l’usage ne l’ait pas encore naturalisé pour cette colonie. Devenus miliciens et soldats, ils perdraient cette réputation de lâcheté qui est le pire stigmate dont ils soient flétris : réhabilités comme braves, ils le seraient sous tous les rapports.

Le gouvernement de la société musulmane ne peut se réduire à un programme aussi simple. Ici tous les contrastes de la surface s’aggravent d’un profond antagonisme : l’hostilité latente de l’islamisme, sa force d’inertie et de résistance, son indifférence devant tout progrès, ses méfiances de tout don qui lui vient d’une main chrétienne, tout cela multiplié par un chiffre de deux millions et demi d’individualités. Cette masse pourtant n’est pas homogène, et les diversités d’origine et de caractère viennent faciliter un peu notre tâche de transformation. La population musulmane comprend cinq groupes bien distincts : les Maures, qui habitent les villes; les Koulouglis, issus de l’alliance des anciens Turcs avec les femmes mauresques; les Arabes, qui occupent les plaines de la campagne; les Berbères, qui habitent les montagnes et dont les Kabyles sont les représentans les plus connus; enfin les nègres, anciens esclaves ou fils d’esclaves affranchis en 1848. Écartons ces derniers, qui ne comptent pas comme élément de l’administration politique, et qui ont leur place marquée parmi les agens de travail.

Le temps nous amène, par une lente, mais incessante action, les deux premiers groupes. Les Maures, enclins à la vie paisible des