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faits d’ailleurs incontestables de la centralisation moderne, M. de Cormenin, n’imaginait pas qu’elle pût être acceptée sans un contre-poids nécessaire, et ce contre-poids, on devait le chercher, selon lui, dans la liberté communale, dans la liberté électorale et dans la liberté de la presse, parce que sans la commune il n’y a pas de lien dans les associations locales, sans la liberté électorale pas de représentation, sans la presse pas de réclamation. « Ce qu’il y a de plus insupportable dans les souffrances d’un peuple, ajoutait avec beaucoup de raison le célèbre écrivain, c’est moins de souffrir que de ne pas se plaindre, et surtout de ne pouvoir être entendu. » Sans ce contre-poids et ces garanties, M. de Cormenin tenait la centralisation pour funeste et la répudiait ouvertement; mais sachons la conserver avec le bien qu’elle a fait, et tâchons de remédier au mal qu’elle peut faire.

A toutes ces difficultés doit encore s’ajouter celle que soulève de son côté la grave question de l’alimentation publique. « Lorsqu’on songe, dit M. Husson dans son intéressant ouvrage sur les Consommations de Paris, à la masse énorme de denrées de toute espèce qui s’acheminent vers Paris, et qui s’y absorbe dans le cours d’une année, l’imagination reste surprise.» Pour ne parler en effet que des denrées qui constituent le fonds même de l’alimentation, Paris absorbe dans une année 184,556,000 kilog. de pain, (62,514,000 kilog. de viande, 10,198,000 kilog. de beurre, 9,937,000 kilog. de poisson, et les autres denrées apportées chaque jour sur le carreau des halles ne figurent pas dans l’alimentation parisienne pour des chiffres moins considérables. Cette grande concentration sur un seul point, dans une seule ville, de denrées attirées de tous les pays, et qui augmente chaque jour avec la population, n’est-elle pas de nature à troubler les conditions économiques dans lesquelles on avait vécu jusqu’à ce jour en France? N’est-ce pas là en partie le secret de cette hausse extraordinaire qui s’est manifestée sur les choses de première nécessité, et qui pèse si durement sur le pays? M. Husson nous rassure et soutient qu’il faut s’en prendre principalement aux mauvaises récoltes des dernières années, à certaines maladies de quelques produits, à la guerre; sans contester l’influence que ces diverses causes ont pu exercer sur l’alimentation, il est permis de douter qu’elles aient seules amené le renchérissement actuel. Plusieurs de ces causes n’existent plus depuis longtemps, et cependant les prix s’élèvent toujours. Paris a étendu outre mesure le rayon de son approvisionnement; en allant aujourd’hui chercher au loin des denrées qu’il trouvait autrefois à sa proximité, n’a-t-il pas fait naître en tous lieux la hausse dont il souffre à son tour?

Enfin, en présence du surcroît de population que l’annexion donnerait à la ville de Paris, on ne saurait songer sans quelque effroi