Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les oligarchies, les monarchies, espèces rivales, se déchirent successivement. Machiavel regarde, et pose une théorie d’attaque et de défense à l’usage du héros de son choix, qui sera le dernier terme de cette série de dévorans et de dévorés. César Balbo, tout au contraire, ne veut voir aucun des faits qui froisseraient la délicatesse de ses sympathies et terniraient la pureté de sa foi. Il n’accorde pas à la réalité le droit de démentir son idéal. Quel que soit le résultat de ses recherches abstraites, quelque novateur que soit son système en théorie, sitôt qu’il s’agira de l’appliquer, le pape en occupera le sommet, en dépit des disparates. Il le juge selon sa dignité et non pas selon ses œuvres. Il appelle le pape à se mettre à la tête de la révolution, parce que, révolutionnaire pieux, il voudrait avoir le pape à son bord. Ce serait de la politique de bonne compagnie, si c’était de la politique. Balbo oublie qu’il n’est pas toujours possible de tout ménager, et que la bienveillance doit se garder de la banalité : il ressemble à Pellico quand il faudrait ressembler à Dante. L’abaissement de l’église après 1848 ne lui arrache qu’une plainte mélancolique, et pourtant il sait que cet abaissement a ruiné sa patrie. Sa conscience n’a point abdiqué, on va le voir; mais quelle inconcevable résignation que celle de mourir sans avoir protesté !

Le patriote cependant n’a pu se taire jusqu’au-delà du tombeau; il a laissé à son pays la preuve que l’expérience de 1848 avait modifié sa théorie. Parmi ses œuvres posthumes, celles qui portent une date postérieure à la révolution de 1848 désignent la liberté, conquête unique de la guerre, comme la pierre angulaire de l’édifice italien, dont on reprend la construction sur des bases plus solides; elles indiquent qu’après l’appel inutile fait à des souverainetés incapables, il convient d’appeler enfin le peuple à s’élever de lui-même par degrés à la dignité de nation. A ses yeux, il faut déplorer le parti pris par le saint-père, et lui accorder le respect attristé dû à une auguste erreur, mais se garder de le suivre. Ainsi, devenu moins confiant à l’école des mécomptes de 1848, Balbo sépare ce qui doit être séparé : il écarte la papauté de la mission libérale que poursuit le Piémont, seul fidèle à son serment constitutionnel; il sent que le peuple n’a plus qu’à marcher seul, par la pratique de la liberté, vers le but où la théorie de l’indépendance pure et simple n’a pu le conduire. Ce n’est guère dans sa vie politique qu’on peut surprendre ce progrès d’idées par lequel Balbo passe de la conception étroite de l’indépendance pure et simple à celle de l’indépendance par la liberté; mais ce progrès est sensible dans tout ce qu’il écrit après 1849, et si, maître de ses actions, il les astreint à des fidélités trop longtemps observées, sa pensée, qu’il ne peut contenir, rompt tout lien et transmet au pays, comme