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l’Océan ces immenses véhicules qui surpassent en tonnage les vaisseaux de guerre de premier rang. En diminuant le nombre de ses navires et en augmentant leur tonnage, l’armateur charge plus économiquement une même quantité de marchandises; il supporte moins de frais généraux, il emploie moins d’hommes d’équipage, il obtient une régularité plus grande. Les progrès de la marine à vapeur devaient nécessairement produire cette révolution dans la structure de la marine à voiles. Il fallait que celle-ci luttât contre la concurrence que lui opposait l’application en grand de la vapeur; elle pouvait en même temps profiter, pour son propre compte, des perfectionnemens de toute nature qui, sous l’inspiration et pour les besoins de sa rivale, étaient introduits chaque jour dans l’art des constructions. La tendance vers l’accroissement du tonnage est donc générale. La France a suivi l’exemple de l’Angleterre et des États-Unis, qui sont entrés dans cette voie à pas de géant; elle ne saurait cependant en recueillir à un égal degré les avantages. Pour employer utilement ces énormes navires, il faut avoir constamment à sa disposition des chargemens de marchandises encombrantes; les Anglais ont la houille, les Américains le coton ; quelle que soit la capacité qu’ils donnent aux coques de leurs bâtimens de commerce, ils sont assurés de les remplir ; le fret ne leur fera pas défaut. En France, nous ne possédons malheureusement pas de produits d’échange qui puissent, au double point de vue de la quantité et du volume, se comparer avec la houille ou avec le coton. Dans bien des cas, l’armateur du Havre ou de Marseille serait fort embarrassé de compléter sans délai le chargement d’un navire de 1,000 tonneaux. Si l’on parcourt la liste des produits que nous exportons, on se rendra compte de cette difficulté, car, à l’exception des vins, nous n’expédions guère à l’étranger de marchandise encombrante. Nous recevons bien de fortes quantités de coton, de houille, de bois de construction; mais, lors même que toutes conditions seraient égales, les transports de ces matières seraient nécessairement réservés aux Américains, aux Anglais, aux Suédois, chaque nation, pour peu qu’elle ait une marine, demeurant en possession du transport de ses propres denrées, et pouvant au besoin, par des artifices de législation, repousser la concurrence des marines étrangères. On comprend ainsi que, tout en nous appropriant les nouveaux modèles appliqués aux grandes constructions maritimes, nous en fassions un usage encore limité. Néanmoins on voit par les documens statistiques que nous avons accompli sous ce rapport des progrès très appréciables : il n’y avait en 1846 que 58 navires français de plus de Z|00 tonneaux de jauge officielle; en 1856, on en comptait 422.

Cet accroissement est dû en partie à la marine à vapeur, dont l’effectif a plus que doublé pendant la période décennale et comprenait à la fin de 1856 275 navires jaugeant ensemble 6.’i,000 tonnes. Ces chiffres paraîtraient bien modestes, si l’on présentait en parallèle le tableau de la marine à vapeur anglaise ! N’insistons pas sur ce contraste ; mais formons des vœux pour que