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Souvenirs d’un Officier du 2e de Zouaves, 1 vol. in-18, chez Michel Levy, 1859.


Ce petit livre, d’un esprit tout militaire, est l’œuvre d’un soldat. Il est très simple d’accent et de forme, dénué de toute prétention, et cependant il vient au monde avec je ne sais quelle teinte de mélancolie héroïque et funèbre qu’il tient du moment même où il voit le jour, d’une douloureuse coïncidence. Le nom de l’auteur n’est point inscrit sur ces pages ; hier encore c’était le nom d’un chef d’élite plein de vie et de force, aujourd’hui c’est le nom d’un mort. Ce zouave qui raconte ses souvenirs était, il n’y a que quelques jours, un des plus jeunes capitaines de notre armée, un homme formé et élevé au feu des dernières guerres d’Afrique et d’Orient : c’était le général Cler, tué l’un des premiers, presque au début de la guerre d’Italie, dans cette décisive et sanglante action qui a ouvert la Lombardie et les portes de Milan aux armées alliées. Le général Cler avait sans doute bien autre chose à faire depuis un mois qu’à s’occuper de littérature, même de littérature militaire. Ce petit livre, écrit dans un intervalle de repos, avant la nouvelle campagne, apparaît aujourd’hui comme une sorte de testament. On y voit un soldat actif, intrépide, plein d’ardeur pour son métier, élevé au grade de général pour actions de guerre à trente-huit ans et subitement frappé à mort dans toute sa virilité, à quarante-deux ans, au moment où il conduit ses bataillons. C’est la carrière de tant d’officiers dont la vie fut remplie d’actes d’une entraînante résolution, et qui se sont trouvés arrêtés tout à coup en face de l’avenir qui s’ouvrait devant eux. Le général Cler, lui aussi, était sorti des zouaves comme beaucoup de ces généraux qui sont aujourd’hui à la tête de nos divisons. Il avait été successivement lieutenant-colonel et colonel du 2e régiment de zouaves, et nul assurément n’avait plus de titres pour raconter l’histoire domestique de ce corps, qu’il avait conduit dans les plus chaudes mêlées de la guerre d’Orient.

Le mérite de ce petit livre n’est point de raconter de nouveau des scènes connues, ou d’être uniquement l’expression des souvenirs personnels d’un brillant soldat. C’est le journal du régiment depuis sa formation à travers tous les épisodes dont il fut l’acteur et souvent le héros, et ce journal, déjà marqué du sceau d’une douloureuse coïncidence, a de plus une opportunité singulière et émouvante en paraissant au moment même où de nouveaux combats viennent remettre en lumière tout ce qu’il y a d’énergie et de ressources dans ces soldats qui en un jour de gaieté se sont donné à eux-mêmes le surnom peu rassurant de chacals. Cette vaillante troupe des zouaves a une place à part dans notre organisation militaire. Elle n’est point précisément l’œuvre d’un décret administratif ajoutant un numéro de plus à notre armée ; comme tout ce qui est vigoureux et destiné à devenir une force, elle est née en quelque sorte spontanément, sans qu’on y songeât, de toutes les nécessités de la guerre d’Afrique. Primitivement formée un peu au hasard, l’institution s’est développée d’elle-même. On pourrait dire que ces zouaves sont à quelques égards l’image de notre conquête africaine. Au premier moment, on ne savait trop encore ce qu’on ferait : on voulait tout au plus occuper le littoral ; puis insensiblement nous avons eu un empire définitivement annexé à la France sur l’autre bord de la Méditerranée. Les