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croix sombre dont les tristes bras demandent des prières au passant pour quelque victime. La croix du martyre a remplacé ici l’aigle des bourreaux. Après une longue suite de siècles naquit de cette race héroïque une race virile de pasteurs. Et qui peut dire que des pasteurs ne renaîtront pas des héros ? Ainsi vont les choses ici-bas. La terre tourne autour du soleil, et, Janus infatigable, elle a deux visages, l’un de ténèbres, l’autre de lumières. Ainsi chaque peuple fait sa révolution autour du soleil de la gloire, et quand il a accompli son éclatante journée, il décline vers le soir. C’est sur d’autres rivages aujourd’hui que brille le soleil de midi. Oh ! qu’ils sachent être magnanimes et ne point se souiller d’orgueilleuses lâchetés ! Qu’ils sachent jouir de leur ère fugitive ! Eh bien ! terre adorée, tu es plus chère encore à mon cœur dans l’obscurité de la nuit. Dans ton ciel sombre je vois les lueurs tremblantes de quelque aurore boréale, je vois resplendir les flambeaux des Ourses, les astres du Chariot et les Hyades pluvieuses : faible, il est vrai, bien faible lumière ; mais l’heure féconde viendra où Dieu dira au poète: « Gravis cette montagne et crie : Lève-toi, étoile du soir ! »


L’étoile du soir, il ne faut pas l’oublier, si elle se montre au coucher du soleil, paraît encore le lendemain, sous le nom de Lucifer, à l’heure de son lever ; c’est ce qu’indique discrètement M. Aleardi. Les chants de l’espérance n’étant point de son sujet, il s’arrête brusquement : pour les retrouver, il faut suivre le poète dans ses Prime Storie (premières histoires), où l’on trouve, comme dans ses autres ouvrages, de grandes beautés.


« Il y a sur la terre un spectacle qui marque plus que tout autre la vengeance de Dieu : c’est un peuple vaniteux de faibles vieillards qui, depuis trois cents ans, repose dans d’éternelles rêveries, qui, enveloppé dans les lambeaux de la pourpre de ses aïeux, se réchauffe les membres au généreux soleil de sa patrie, et qui respire, oublieux, les parfums amollissans de l’automne sur les champs où ses pères ont combattu en lions… Du sang de la Gorgone naquit Pégase, le cheval ailé, qui, en frappant du pied la montagne, en fit jaillir l’Hippocrène. Du sang que répandirent les Italiens dans leurs fureurs fraternelles bien d’autres coursiers sont sortis, qui ont ouvert de leur sabot le sein de l’Ausonie, d’où jaillirent des sources de forte et triste poésie. Notre Hippocrène à nous, douloureuse, mais splendide et sainte, c’est la patrie.

« Muse d’un peuple vieilli, sur le soir d’une civilisation expirante, je naquis d’une race qui a beaucoup expié et pleuré. Heureuses mes sœurs, qui ont chanté à l’aube héroïque d’une nation ! Elles ont eu en partage la virginité de l’enthousiasme et la chaste naïveté de la langue maternelle. À moi les espérances troublées et les frémissemens séniles ; à moi les imaginations fardées d’un art caduc, à moi l’acre désir, non de bercer un lâche sommeil, mais de combattre, moi aussi, mes batailles, avec l’épée du chant ! Mais j’entends un Dieu qui me le dit, mon Ausonie bien-aimée, tu renaîtras à une noble et forte vie. Et toi, ô mon poète, prépare le plus beau de tes hymnes ailés. Que l’espérance, la charité, la foi, muses puissantes, descendues du