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cipayes. Si j’en juge par les conversations que j’entends tenir autour de moi, ce sentiment est celui de presque tous les officiers de l’armée. Ces troupes sont désolantes par leur manque de discipline et de subordination, surtout vis-à-vis des officiers indigènes... Ceux-ci, dans nos dernières marches, m’ont donné plus à faire que les soldats eux-mêmes. On m’assure que mon régiment est un mauvais échantillon;... mais je crains que le mal ne soit déjà bien étendu. Il faut en chercher la principale cause dans le nombre insuffisant des officiers européens. »

Après Modkee, la campagne n’était pas terminée; elle ne le fut complètement que le 10 février 1846, par la bataille de Sobraon, à laquelle Hodson assista malgré vent et marée. Il avait effectivement sollicité un changement de corps en apprenant que le 2e grenadiers, chargé d’assurer les communications, allait passer sur les derrières de l’armée. Aussi eut-il le double plaisir d’enclouer deux canons ennemis et d’avoir l’extrémité du petit doigt éraflée par une balle : « vraie piqûre d’épingle, dit-il, bien qu’elle ait endommagé un gant de chevreau. » Et à ce prix il avait vu, sous une pluie de feu, se fondre peu à peu une armée de 100,000 hommes, dont 20,000 restèrent sur le champ de bataille. Dix-sept jours plus tard, il datait ses lettres de Lahore. La guerre était finie; la puissance des Sikhs était brisée. On ne devait plus entendre parler d’eux que onze ans plus tard, en les retrouvant à côté des Anglais, en face des cipayes rebelles.

Ces cipayes, on vient de voir en quelle estime Hodson les tenait. Aussi demanda-t-il presque aussitôt à rentrer dans les troupes européennes du Bengale, ce qui lui fut accordé à raison de ses bons états de service. Il avait déjà vingt-cinq ans, et il n’était encore que huitième lieutenant en second. « Belle position, n’est-il pas vrai? écrit-il avec une certaine amertume; mais que voulez-vous? la dernière campagne ne m’a pas servi comme promotion, et cela parce que je n’étais pas, lorsqu’elle s’est ouverte, pourvu d’une fonction permanente.»

En sortant d’un corps indigène pour passer dans un régiment européen, Hudson devait trouver la discipline beaucoup plus stricte, le commandement beaucoup plus rude, la règle plus impérieuse et mieux. observée. Il ne s’en étonne pas, il s’en réjouit. « Tout cela nous est bon, écrit-il, et j’estime, pour ma part, qu’il y a plus de liberté réelle dans une soumission convenable que dans l’entier affranchissement de toute espèce de frein. » Ce qui le console d’ailleurs, c’est de se retrouver entouré de vrais Anglais, d’entendre le langage natal, de se croire pour ainsi dire en famille. « Ah! s’écrie-t-il, nous émigrerions bien pour l’Angleterre, tous tant que nous sommes, si on nous laissait la route libre! »