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orange piquée au bout d’un bambou, haut d’un yord. William est très habile à cet exercice et manque rarement son orange ; mais les lances sont si longues qu’il faut toute la souplesse d’un natif pour les manier sans risque d’un bras démis ou cassé. Ces fêtes militaires sont très pittoresques. Les cavaliers lancés sont comme enveloppés dans un tourbillon de vêtemens bariolés, et les spectateurs forment des groupes qui me font regretter plus que jamais de n’avoir pas un crayon assez bien doué pour les reproduire sur le papier. « Le temps a singulièrement contrarié nos travaux de construction. Nous sommes donc encore dans nos huttes et sous nos tentes provisoires. Naturellement, domiciliés ainsi, les chaleurs nous sont particulièrement pénibles. William est accablé de préoccupations, surchargé d’ouvrage; sa santé pourtant est merveilleusement bonne, et il est aussi en train, aussi fou qu’aux plus beaux jours de sa jeunesse. Jamais il n’est si heureux que lorsqu’il a son enfant dans les bras. »


Ce lion des champs de bataille, cet esprit impérieux, ce dompteur d’hommes est effectivement le mari le plus tendre, le père le plus affectueux. Une fille lui naît à Rawul-Pindee, au moment où les guides allaient partir pour châtier les déprédations d’une des plus redoutables tribus de l’Afghanistan (novembre 1853). Hodson, en route déjà depuis plusieurs jours, revient au galop sur ses pas pour bénir l’enfant que le ciel lui donne, et court, à peine l’a-t-il pressé sur son cœur, rejoindre ses compagnons d’armes. L’ennemi vaincu, il revient, et parle à son père avec un sourire ému de cette petite créature née sous la tente. « Je voudrais, dit-il, que vous vissiez votre petite-fille dans les bras de sa bonne. Sa bonne est un soldat afghan du plus farouche aspect... Que voulez-vous? écrit-il dans une autre lettre. La petite lady a des goûts étranges, et qu’elle manifeste avec une effrayante précocité. Elle ne veut être portée par aucune des femmes du pays, et laisse voir une préférence marquée pour la population mâle, dont quelques individus paraissent avoir des titres particuliers à sa faveur. Le planton attaché à son service (notez ceci) ne se lasse jamais de regarder ses beaux petits doigts blancs. Elle ne se lasse pas davantage de les fourrer dans sa grosse barbe noire, — grave insulte pour un homme d’Orient, mais que celui-ci supporte avec une sérénité parfaite, grâce à l’affection qu’il lui a vouée. Mes gaillards, — fins matois qu’ils sont, — commencent à savoir se servir d’elle, et quand ils veulent obtenir quelque grâce, la demandent au nom de Lilli-Bâbâ (prononcer Olivia étant au-dessus de leur courage). Ils savent que ce talisman n’est pas sans puissance... »

Les enfans de sang européen vivent rarement sous le ciel de l’Inde. Olivia n’échappa point au sort commun. Rappelé auprès d’elle par les symptômes terribles du mal qui allait l’emporter, Hodson vit s’éteindre lentement ce petit être, « devenu, dit-il, par