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les bas côtés, où la terre molle amortissait en partie le bruit de leurs pas, et nous avancions en silence, l’oreille tendue à tous les bruits, fatiguant nos yeux à percer l’obscurité, à découvrir, derrière chacun des arbres qui bordaient la route, les formes de l’ennemi qui pouvait s’y être embusqué pour nous envelopper. Ce fut, je vous assure, un moment de rude anxiété. Dans le voisinage immédiat de Chibberamow: — Ils sont , nous dit notre guide à voix basse en nous montrant un jardin entouré d’arbres, en face de nous, sur la droite. — De fait, nous distinguions parfaitement un murmure de voix humaines. Était-ce l’ennemi ? était-ce un prestige de notre imagination ? Je ne saurais le dire. Nous traversâmes très lentement et très silencieusement le village, dans la principale rue duquel nous vîmes le cadavre d’un de nos cavaliers gisant, raide et blafard, au clair de lune. Arrivés à l’autre extrémité, nous renvoyâmes notre fidèle guide, avec ordre de venir nous rejoindre au camp, et, mettant l’éperon au ventre de nos chevaux, nous galopâmes jusqu’à Bewar, en hommes qui savent leur vie enjeu. Nous y arrivâmes à deux heures du matin. Un détachement de nos cavaliers était venu jusque-là au-devant de nous.

« ….. Tout ce que me dit Hodson, quand nous nous retrouvâmes en sûreté, fut ce simple mot : « Par saint George, Mac, je paierais cher une tasse de thé ! » Puis il alla tout aussitôt se coucher. C’est le plus beau sang-froid que j’aie jamais rencontré de ma vie. Nous avons fait, lui et moi, nos soixante et douze milles, lui sur son petit bai-brun, moi sur Alma<ref>. »


Le 31 janvier 1858, après un rude combat livré à Shumshabad (dans le voisinage de Futtyghur), Hodson, atteint de deux coups de sabre au bras droit, écrivait de la main gauche pour annoncer la mort de son ami et lieutenant Macdowell, tué dès le début de l’affaire, et à l’âge de vingt-huit ans. Hodson lui-même, mis hors de combat, puisqu’il ne pouvait plus ni tenir son sabre, ni diriger son cheval, se fit traîner vers Cawnpore dans le dog-cart d’un de ses amis. Sir Colin Campbell le soignait, le choyait de son mieux, et annonçait à tous, lui annonçait à lui-même sa prochaine promotion au grade de colonel. Mis à ce régime, Hodson fut bientôt rétabli, et avant la fin de février on le retrouve sous les murs de Lucknow, dans une chaude mêlée de cavalerie, où il sauva la vie d’un de ses officiers en sabrant le cipaye qui l’allait percer de sa lance. Le 11 mars, alors que les Anglais, déjà maîtres des ouvrages extérieurs, se préparaient à attaquer le palais de la bégum (Begun’s Kotee), l’intrépide major reçut ordre de se rapprocher avec sa troupe des murailles de la cité. Il monta aussitôt à cheval, et laissant ses ordres à son adjudant, prit les devans afin de venir explorer lui-même les terrains les mieux disposés pour y asseoir un campement provisoire. On lui annonça chemin faisant l’assaut qui allait être donné au palais ; il y courut, pressé par un irrésistible instinct. — <ref> Lettre du lieutenant Macdowell, datée de Bewar le v" janvier 1858, c’est-à-dire du jour même où il venait d’échapper si miraculeusement à la mort.