Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je viens prendre soin de vous, dit-il en riant au brigadier Napier chargé de l’attaque. Vous ne pouvez vous passer de quelqu’un qui vous surveille. » Impétueusement livré, l’assaut réussit. Hodson pénétra dans le palais par la brèche avec le général Napier et le reste de l’état-major, mais en cette mêlée confuse ils se perdirent de vue. Quelques instans après, rencontrant des soldats qui cherchaient de tous côtés les cipayes encore cachés çà et là dans les cours cloîtrées et les longs corridors du palais, le commandant des irréguliers se mit machinalement à leur tête. Arrivé à l’angle d’un passage sur lequel ouvrait une cellule obscure : » Tenez, leur dit-il, ou je me trompe fort, ou il y a par ici quelques-uns de ces drôles. » Or il ne se trompait pas, et au moment où il mettait le pied sur le seuil de cette espèce de cachot, une balle vint le frapper en pleine poitrine et lui traversa le corps de part en part. Il recula de quelques pas en chancelant, et tomba pour ne plus se relever. Les highlanders qui le suivaient pénétrèrent, baïonnettes basses, dans la cellule d’où était parti le coup; pas un cipaye n’en sortit vivant. Ranimé par des stimulans, Hodson vécut encore toute la nuit, mais sans se dissimuler que sa blessure était sans remède. A dix heures du matin, l’hémorragie, un moment arrêtée, reprit son cours, et, perdant ses forces d’heure en heure, le blessé mourut trois heures plus tard.

S’il était besoin d’ajouter quelques réflexions à un récit qui peint si bien et Hodson lui-même et la race d’officiers dont il fut un brillant spécimen, nous signalerions en lui comme sa qualité supérieure, que toutes les autres, subordonnées à celle-ci, servent à mettre en relief, le besoin d’autorité, d’ascendant, de domination, qui, dans toutes les conditions, dans toutes les sphères sociales, fait les pasteurs d’hommes. Hodson aimait l’autorité pour l’autorité; l’exercice de la volonté lui était un besoin. Quand de telles natures abondent en un pays, — et l’Angleterre en est là, — les dangers qu’elles pourraient faire courir à la liberté sont balancés par les obstacles qu’elles jettent sur le chemin de la tyrannie. Seulement il est bon que la responsabilité pèse sur ces organisations absolues, que la hiérarchie comprime ce qu’il y a d’excessif dans l’élasticité de leurs ressorts. L’autorité de famille, les souvenirs d’une discipline sévère, le joug de l’opinion, le fouet toujours levé d’une publicité vengeresse, doivent se réunir pour dompter, contenir, refréner le tyran que renferme tout homme ainsi doué. Le pays profite alors sans péril de cette même force qui eût pu servir à sa ruine, et l’homme qui, livré à lui-même, serait peut-être devenu un fauteur de violences demeure ainsi l’héroïque et docile agent de l’intérêt national, de la volonté de tous.


E.-D. FORGUES.