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nettoyé son âme des vices et des frivolités criminelles qu’une longue existence y a entassés. De ses anciens scandales on ne voit plus que la fumée; la flamme brillante s’en est éteinte depuis longtemps. Cette superbe insolence s’est comme figée en un froid cynisme, et cette pratique audacieuse et passionnée du mal s’est transformée en théorie machiavélique. Le vieux dandy fait la philosophie des vices qui ne sont plus à son usage; l’impuissance de faire le mal où l’âge l’a réduit lui fait trouver une triste compensation dans le plaisir qu’il éprouve à le voir commettre autour de lui. C’est un réprouvé dans toute la force du terme, et l’on se demande, en le voyant, si l’apparente indulgence de la destinée n’est pas après tout le plus formidable châtiment qui pût l’atteindre. Les sens sont glacés, le cœur est desséché, la conscience muette : quel spectacle!

C’est avec tous ces déplaisans attributs que se présente au lecteur sir Harry Fallowfield, le précepteur de Guy Livingstone dans l’art des flirtations, vieux Valmont dont la dernière joie, l’unique consolation, la suprême ressource est d’exposer cyniquement les principes qui président à l’art des séductions. C’est à juste titre que l’auteur le compare à un immoral mancenillier à l’ombre duquel les meilleures résolutions se dessèchent et meurent. Sa conversation fait frémir; en voici un fragment qui montre qu’il aurait su apprécier les ressources et la profondeur d’esprit de Mme de Merteuil mieux que Valmont lui-même, s’il l’eût rencontrée sur son chemin, « Il est certainement très dur pour les femmes que notre sexe ait dégénéré comme il l’a fait, car je crois en conscience qu’elles sont aussi rusées, aussi perverses, et qu’elles apprécient la tentation autant qu’autrefois. Voyez miss Bellasys par exemple : elle a une sensualité calculatrice, une astuce de stratagèmes, un mépris complet de la vérité et une aptitude pour affoler les hommes que le régent Philippe aurait adorés. Je l’ai vue, un jour qu’elle n’avait rien de mieux sous la main à corrompre, s’emparer d’un homme plus vieux, plus triste, plus prudent et plus laid que je ne le suis moi-même, et l’amener en deux ou trois jours sur les frontières de la folie, si bien qu’il grondait contre sa pauvre femme, sa compagne depuis quarante années et la vertueuse mère de six grands enfans, avec une expression qui faisait penser aux couteaux de cuisine et à la strychnine. Guy lui convient mieux. La force de ses nerfs et de ses muscles la tient quelquefois en respect, et il a une certaine dureté de caractère et une absence de pitié dans la conduite qui, perfectionnées par mes conseils, le mèneront loin, quoique j’aie bien peur qu’il n’aille pas jusqu’au bout de la route. Oui, vous avez raison de ne point paraître flatté : vous valez un peu mieux que les autres, mais c’est tout. Notre monde dégénéré n’est pas digne de cette