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adressa au conseil des ministres une lettre signée de tous ses dignitaires, et qu’elle-même publia résolument. Dans ce document, que l’histoire devra conserver comme une pièce caractéristique du temps, on parlait le langage le plus hautain, et on terminait par la menace d’armer les ennemis du gouvernement, car la menace adressée aux ministres allait visiblement plus haut qu’eux.

En 1847 cependant, les hommes de talent qui dirigeaient les affaires eurent un mouvement d’impatience contre la coterie prohibitioniste qui prétendait les asservir. Ils sentaient qu’il serait déshonorant pour la France et pour eux-mêmes qu’après la réforme accomplie sur de si larges proportions par sir Robert Peel, on restât complètement inactif chez nous. La chambre des députés fut donc saisie d’un projet de loi où l’esprit de réforme se montrait de la modération la plus parfaite. Le projet maintenait à peu près sans exception les innombrables prohibitions qui avaient été établies en l’an V à titre de mesures de guerre contre l’Angleterre, et qui, chose incroyable, ont survécu depuis lors à tous les changemens survenus dans la situation de la France au dehors et au dedans. Les réductions de droits ne portaient guère que sur des articles d’une valeur secondaire, et cependant la loi, dans son ensemble, n’était pas sans intérêt. Il était du devoir des prohibitionistes de se montrer reconnaissans de tant de ménagemens et de faire bon accueil au projet. Loin de là, ils le reçurent avec colère et dédain. Une commission hostile fut nommée par la chambre, et laissa passer une longue session sans faire le rapport. Au commencement de l’année suivante, la révolution de février emporta le projet dans le tourbillon qui détruisit la monarchie de juillet.

Lorsque l’événement du 2 décembre eut rétabli en France le gouvernement monarchique, en l’entourant d’une grande force, la coterie prohibitioniste sentit que, le pays étant dégagé des profonds soucis sous l’influence desquels on avait laissé à l’écart l’affaire des douanes avec beaucoup d’autres, la question de la révision du tarif pourrait de nouveau être soulevée. Elle s’appliqua aussitôt non-seulement à enguirlander le chef de l’état, mais encore et surtout à prendre des précautions contre l’esprit réformateur. Tout en prodiguant au prince les cajoleries extérieures, elle trouva le moyen de lui faire mesurer d’une main avare, en matière de douanes, les attributions qu’il était naturel d’accorder à un pouvoir fort. Le sénatus-consulte qui a relevé le trône impérial contient, au sujet du tarif des douanes, des restrictions à la prérogative du souverain dont on a lieu d’être surpris. Le gouvernement impérial, cédant au courant de l’opinion européenne, essaya dès 1853 de modifier le tarif: ces essais ont été heureux sans exception ni réserve, ils n’ont porté at-