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joue et chante avec talent. Le costume seul dont Mme  Cabel s’est attifée laisse désirer un peu plus d’élégance, et s’il est juste de convenir que l’artiste a beaucoup gagné, la femme au contraire a perdu un peu de la grâce naturelle qui la distinguait. Ah ! Meyerbeer est un vampire qui ne donne pas son esprit pour rien. M. Faure chante à merveille tout le rôle difficile d’Hoël, qui restera une de ses bonnes créations. Sa belle voix de baryton me plairait davantage si le timbre n’en était pas un peu caverneux et d’un tissu un peu lâche. Quant à M. Sainte-Foy, comédien et musicien consommé, il tire un très grand parti de la physionomie du cornemuseux Corentin. Les chœurs, la mise en scène, les décors, le torrent d’eau véritable, complètent un bel ensemble. N’oublions pas la chèvre, qui remplit son rôle avec zèle, et qui traverse le pont fragile, au finale du second acte, sans se douter du danger qu’elle court. Pauvre bête, je plains sa destinée !

C’est un beau spectacle à contempler que celui de la variété des génies que présente l’histoire de l’art. En ne remontant pas plus haut que notre siècle et en resserrant le champ de l’observation aux trois peuples qui représentent la civilisation esthétique de l’Europe, les Italiens, les Allemands et les Français, on remarque deux grandes évolutions opérées, l’une par Beethoven dans la musique instrumentale, l’autre par Rossini dans la musique dramatique. Ces deux génies, qui sont aussi différens entre eux que les deux nations dont ils expriment les aspirations et les sentimens, procèdent dans l’enfantement de leur œuvre comme procède la nature : ils hésitent d’abord, ils tâtonnent, ils imitent leurs prédécesseurs, et, comme le dit le poète, sur des pensers nouveaux ils font des vers antiques, car il n’y a de révolution durable dans l’ordre intellectuel, aussi bien que dans l’ordre moral, que celles qui s’appuient sur un coin du passé. On ne citerait ni un grand philosophe, ni un poète, ni un artiste, ni même un véritable homme d’état dont l’œuvre originale soit le fruit d’une force isolée, d’une activité tout individuelle. S’il est incontestable que les premières compositions de l’auteur de la Symphonie pastorale révèlent une imitation plus ou moins volontaire du style de Mozart, Rossini ne cache pas davantage qu’il a été élevé dans l’admiration d’Haydn, de Mozart et de Cimarosa, dont il combine et mêle les essences sur sa palette magique, ce qui n’a pas empêché Beethoven de devenir le génie musical le plus vaste, le plus profond et le plus original qui ait existé, ni Rossini d’être le compositeur dramatique le plus varié, le plus passionné et le plus brillant de son époque. Autour de Beethoven, qui reste unique, s’est élevé en Allemagne un groupe de génies congénères tels que Weber, Spohr, Schubert et plus tard Mendelssohn, qui, tout en s’inspirant du même ordre d’idées et de la même tradition, n’en sont pas moins originaux pour cela, particulièrement Weber, qui le premier traduit dans le drame lyrique le merveilleux de la poésie allemande. A la suite de Rossini se produit également en Italie une famille de brillans disciples, dont le plus original de tous est Bellini, qui se serait élevé bien haut, si la mort n’eût moissonné avant l’heure ce doux chantre de la Sicile, qui avait su concilier dans son style encore juvénile l’imitation des vieux maîtres, et surtout de Paisiello, avec la manière du grand rénovateur de l’opéra italien.

Pendant que ces deux grandes évolutions de l’art musical s’accomplissent