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renvoyé à l’avenir, ainsi que plusieurs autres. La majorité des Italiens semblent, pour le présent, ne s’occuper que de la question pratique de la guerre, et ont le bon sens d’oublier leurs anciennes divisions. Les opinions extrêmes se dissimulent ou se taisent ; elles n’ont aucune chance de succès aujourd’hui. L’on nous cite, comme une preuve de cette modération des opinions, la répugnance que montreraient un certain nombre de volontaires qui arrivent en Piémont à servir dans les corps francs de Garibaldi, parce que ce chef aurait été autrefois républicain. Nous trouvons cette répugnance injuste et déplacée. Garibaldi, quoique nos soldats se soient trouvés en face de lui à une autre époque, nous paraît mériter la sympathie des Italiens, et pourra rendre de grands services comme partisan. C’est une des rares figures pittoresques qui tranchent sur notre époque effacée, et nous croirons plutôt, sur la foi d’autres correspondans, qu’il est un des chefs les plus populaires du mouvement, et que le roi Victor-Emmanuel et M. de Cavour sauront tirer parti de ses instincts militaires et du prestige qu’il a auprès des masses italiennes. Les Italiens ne doivent se diviser en ce moment ni sur les choses ni sur les hommes.

L’heure n’est point venue encore sans doute de discuter froidement et en détail la politique par laquelle la France doit faire triompher l’indépendance de l’Italie. Malgré l’émotion de la crise actuelle, qu’il nous soit permis cependant de rappeler sommairement les principes qui doivent nous guider dans l’entreprise qui s’impose à nous. Quoique plus d’une fois dans notre histoire nous ayons manifesté notre sympathie pour l’indépendance des peuples italiens, plus d’une fois aussi, nous devons l’oublier aujourd’hui moins que jamais, nous avons été funestes à l’Italie. Nous lui avons nui en trafiquant de ses territoires et en la traitant comme une conciuète. C’est nous qui avons détruit la république de Venise. « Dans toutes les circonstances, écrivait, le 26 mai 1797, notre général à la municipalité de cette ville, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous donner des preuves du désir que j’ai de voir consolider votre liberté, et de voir la misérable Italie devenir libre et indépendante des étrangers. » Et plus d’un mois cependant avant d’écrire cette lettre, le même général avait livré Venise à l’Autriche par l’article secret du traité de Leoben ! Nous avons donc de grandes réparations à faire à l’Italie, et notre politique a dans ces derniers temps contracté envers elle une responsabilité immense. Il faut qu’aujourd’hui nous acquittions une fois pour toutes envers ce noble et malheureux paj’s toutes les dettes de notre histoire ; il faut pour cela que notre politique se concentre exclusivement sur la question italienne, qu’elle ne laisse point cette question se noyer et disparaître dans des complications plus vastes. La guerre peut être localisée en Italie : tout le monde l’espère ; mais il ne suffit pas de l’espérer, il faut le vouloir. Pour cela, il importe de prendre garde à la gravité des circonstances actuelles. L’Europe, à l’heure qu’il est, reçoit un vaste ébranlement. Il est impossible que ce choc ne produise point un de ces frémissemens contagieux qui remuent si facilement nos sociétés européennes. Bien près de l’Italie, il y a l’Orient ; bien près de nous aussi est l’Allemagne. Dtjà l’attente seule de l’explosion qui s’accomplit aujourd’hui sur les bords du Tessin fait fermenter bien des chimères