Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux forces dont nous suivons l’essor, l’état et l’individu, se sont trouvées en présence. Chacune d’elles aspirait au premier rôle : la première au moyen de la discipline régulière de tous les agens et de tous les instrumens de la production, la seconde par leur essor libre, au risque même d’un peu de confusion. L’état l’a emporté; il a subordonné toute entreprise coloniale à un allotissement officiel, précaution admissible, et en outre à la création de villages autour desquels il distribuerait à son gré la petite, la moyenne et la grande propriété. Tout aspirant colon a dû recevoir son rang, son numéro et jusqu’à l’emplacement de sa maison des mains de l’état: véritable embrigadement. En vain la dissémination de quelques fermes dans la campagne a été autorisée à titre d’exception; le village officiel est resté généralement le noyau central autour duquel toutes les molécules ont dû s’agglomérer dans une intime cristallisation. Se répandre au dehors était presque aussi criminel qu’une désertion. Telle a été jusqu’à ce jour la méthode dominante qui, d’une province à l’autre, n’a différé que dans les détails d’exécution, ici les villages étant groupés en réseau compacte, ailleurs distribués de préférence le long ou à proximité des routes.

Mauvaise méthode, croyons-nous. Tout village officiel coûte de 100 à 200,000 francs à fonder, ce qui, à raison des crédits toujours limités du budget, réduit à une demi-douzaine par an le nombre de ces créations. Tout l’élan de l’émigration et de la colonisation se trouve ainsi réglé sur des allocations financières dont le gouvernement et le corps législatif sont les seuls juges et les administrations locales les seuls instrumens. Un village décrété ou construit d’avance, préalablement à toute installation de colons, avec fixation du nombre précis des maisons qu’il doit contenir, des lots de terre qui doivent l’entourer, des âmes qui doivent le peupler, est un véritable contre-sens et un anachronisme dans l’ordre naturel de la colonisation. Toute agrégation de maisons répond aux besoins de l’industrie, du commerce et de l’administration publique, non à ceux de l’agriculture, qui a besoin d’installer la ferme avec ses bestiaux et ses instrumens de travail à portée des terres à cultiver. L’Angleterre et les États-Unis, qu’il faut bien se résoudre à consulter en matière de colonisation habile et heureuse, n’ont garde de procéder ainsi. Leurs ingénieurs divisent chaque unité territoriale en sections, dont l’une, la plus centrale, est réservée pour les écoles, les églises et autres édifices de la communauté. Le reste est mis en vente, et les acquéreurs s’installent sur leur lot, où il leur plaît et comme il leur plaît. Les besoins des échanges ne tardent pas à développer le point central, qui grandit et devient un village, puis un bourg et une ville, par une sorte de naturelle et vigoureuse végétation, sans en deman-