l’on suppose le maintien de la paix et du commerce avec les indigènes. La production annuelle du blé ne peut être estimée à moins de 5 ou 6 millions d’hectolitres, sur lesquels il sera toujours facile de prélever les 200,000 environ nécessaires à la nourriture d’une armée de soixante-dix mille soldats pendant un an : ce chiffre est inférieur à celui de l’exportation, qui, même dans une année médiocre comme 1858, a monté à 228,725 quintaux métriques de blé, et qui dans des années meilleures a atteint 1,500,000.
À supposer la paix et le commerce rompus avec les indigènes, la situation serait au contraire fort critique, les colons étant bien loin de produire assez pour leur consommation, jointe à celle de l’armée. En 1855, leur récolte totale en blé dur et blé tendre était évaluée à 172,000 hectolitres, le tiers à peine des besoins d’une population de 167,000 habitans ; les deux autres tiers et la nourriture de l’armée manquaient. La situation ne doit pas être bien sensiblement changée aujourd’hui, considération capitale à joindre à tant d’autres pour activer la culture et le peuplement du sol par l’élément européen. En de telles conjonctures se révélerait, mais trop tard pour notre honneur et notre sécurité, le péril de cet enthousiasme exclusif pour les Arabes qui a marqué de son sceau beaucoup trop d’écrits et de discours. Alors aussi on apprécierait tout le rôle des céréales et des bestiaux, en même temps qu’on replacerait à leur vrai rang l’opium, la cochenille, le ricin, l’urtica nivea, le café, le thé, la vanille, l’indigo, l’arachide, le sésame, le bananier et vingt autres fantaisies pareilles, honorées de sympathies et de dépenses qui pouvaient mieux s’adresser. Même le rôle secondaire de la soie, du tabac et du coton, objets de plus justes faveurs, serait mis à nu. En un pays vaincu d’hier, isolé comme une île, car il est entouré au sud par le désert, à l’est et à l’ouest par des races ennemies, au nord par deux cents lieues de mer, le peuple conquérant doit mettre son principal souci à assurer, en cas d’insurrection et de guerre maritime, son approvisionnement en denrées alimentaires, principalement en grains et en bestiaux, par la production de ses nationaux. L’économie rurale donne exactement, au point de vue du profit, le même conseil que la politique[1]. La surabondance n’est pas à craindre. Des débouchés pour ainsi dire sans limites sont ouverts aux céréales par le midi de la France, l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, le Portugal, quelquefois l’Espagne, et aux bestiaux par les divers états riverains de la Méditerranée, sans compter la consommation locale, qui est elle-même fort étendue. Que si un tel plan de spéculation agricole s’accommode mal du morcellement extrême
- ↑ Voyez, dans la Revue du 15 août 1858, l’étude de M. Payen sur les Cultures algériennes et la Récolte de 1858.