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laissant aux colons le soin de construire leurs villages! Ainsi reviendraient à leur rôle respectif, en le remplissant mieux qu’aujourd’hui, les deux grands pouvoirs de la société, l’individu et l’état.

Eu compensation, nous effacerions de la catégorie des travaux publics la création des centres de population. Dans cet ordre de faits, l’intervention de l’état dépasse toute juste limite, bien que sa tâche soit nettement indiquée par la raison comme par l’expérience des pays qui savent coloniser. Elle consiste à dégager la pleine et libre propriété du sol, à l’allotir, à le concéder ou le mettre en vente, à lui ouvrir des communications faciles entre les centres voisins. L’état peut encore, en vue des services communaux ou provinciaux, sur lesquels il exerce dans nos mœurs et nos lois une légitime tutelle, assigner les emplacemens qu’il juge préférables, et déterminer ainsi l’assiette probable de la ville ou du village à construire. Il n’a point d’autres devoirs à remplir. En toute localité assainie et abordable, fertile d’ailleurs, et surtout dotée de biens communaux, les populations afflueraient, et au bout de deux ou trois ans compteraient des centaines de familles disposées à exécuter les travaux d’ordre municipal par leurs propres efforts, auxquels viendraient en aide, d’une façon accessoire, la province et même l’état. Ce système suppose, il est vrai, un libre et large essor ouvert à la vie collective, la propriété définitive du sol reconnue à tout colon, un budget communal établi sur des bases solides, — concessions qui toutes dépendent de l’état. La difficulté consiste bien moins dans l’impuissance des forces individuelles que dans un éloignement systématique de l’administration pour les libertés locales, dont la centralisation a étouffé le goût et l’habitude. Une autre erreur du gouvernement, c’est de croire que les centres de population dépendent de sa volonté, et qu’il peut en créer partout sans autre limite que les crédits dont il dispose. Les agrégations humaines naissent spontanément là où se croisent pour l’échange ou le travail les courans de l’activité. C’est une loi dont l’Algérie elle-même offre de nombreuses applications, et, pour n’en citer que la plus récente, Souk-Harras, l’ancienne Tagaste, la patrie de saint Augustin, est devenue en deux ou trois ans une petite ville de quinze cents âmes, sans que l’autorité s’en avisât. Au contraire, quand les causes naturelles font défaut, préfets et généraux ont beau décréter des villages, bâtir même toutes les maisons, octroyer gratuitement les concessions : ces créations artificielles ou prématurées traînent une misérable existence, et l’Algérie en fournit aussi des exemples trop nombreux.

L’état rentrerait dans son vrai rôle, et justement c’est un de ceux qu’il néglige le plus, en provoquant le reboisement des montagnes. L’Afrique fut autrefois plus boisée qu’aujourd’hui, alors qu’elle