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revient si souvent dans la bouche des Arétins et des Siennois : padrone, sà ; bel tempo, sà. De l’ancien costume des femmes du val d’Arno, elle n’avait conservé que la beretta, sorte de bonnet de velours noir garni de dentelles de même couleur. Ses voisines, au surplus, n’en avaient pas gardé davantage. Le reste du costume est perdu. A cet égard, les choses se sont passées en Toscane comme partout ailleurs : de toutes les pièces du vêtement, c’est la coiffure qui a résisté le plus longtemps à l’invasion des modes et des étoffes cosmopolites. Ainsi l’on rencontre encore à Pistoja, en plaine, à vingt-cinq milles de Florence, la guirlande de fleurs et de rubans, tandis qu’à Prato-Vecchio et à Foppi, c’est-à-dire dans une vallée reculée, près des sources de l’Arno, au pied des rochers de La Vernia, jupons et corsages sont en cotonnade, et ont la coupe des robes de France et d’Angleterre. Ce que les contadines de Toscane ont surtout conservé d’autrefois, ce sont les mœurs et les sentimens. La femme de Giuseppe Cardoni est pieuse, bonne, laborieuse, toute à ses en fan s et à son mari.

Une grande paix régnait dans cet intérieur, où la vie s’écoulait dans une heureuse médiocrité, remplie par le travail, sans regret comme sans ambition d’un sort meilleur. L’union sous le même toit entre une bru de vingt-six ans, une fille de vingt, et six fils étages depuis trente jusqu’à quinze ans, n’est pas toujours aisée à maintenir. Ici elle était pourtant aussi parfaite que la respectueuse soumission de tous envers le chef de la famille. Lorsque le vieux Giuseppe recevait un service de l’un de ses enfans, ce n’était pas le père, c’était l’enfant même qui remerciait. Un jour que Cardoni avait demandé de l’eau à sa fille Pichichia, et que celle-ci, après lui en avoir offert dans une mezzina[1], se retirait sans lui rendre grâces, il lui reprocha devant moi son manque d’égards avec le ton de la dignité offensée. — Grazie, babbo, lui répondit-elle aussitôt avec un doux accent de repentir.

Cette docile Pichichia était une belle fille qui, toute villageoise qu’elle fût, portait dans toute sa personne un cachet de délicate élégance dont il était vraiment impossible de. n’être pas frappé. C’est là du reste un des caractères les plus marqués du type toscan. Les Bolonaises et généralement les femmes de toute la Romagne ont de larges épaules, la gorge saillante, les membres forts, l’air résolu, quelque chose de viril dans la démarche. Elles parlent haut; leur accent est rude, leur geste véhément. En elles, rien de mélancolique, rien qui fasse rêver : des cheveux très noirs et brillans, rejetés en arrière, le front bas, des sourcils épais, les paupières plis-

  1. Vase en cuivre.