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sées et bridées, l’œil noir, le regard hardi, le nez court et charnu, le menton carré, la lèvre forte, les coins de la bouche baissés, le teint d’un brun un peu rouge. Qui dans la femme cherche la faiblesse caressante, la grâce et la tendresse, ne trouvera point son fait à Bologne. Comme leur beauté, le charme des Romagnoles est d’un genre plus farouche. Elles ne manquent ni d’attrait, ni de séduction, mais il y a je ne sais quoi de sauvage dans l’espèce de sentimens qu’elles sont propres à inspirer. J’imagine que pour les aimer il faut une âme de forte trempe et plus passionnée que sensible. Ce sont bien les femmes de ces turbulens républicains qui ne surent jamais ni conserver la liberté, ni supporter un maître. Quittant les grasses plaines qu’arrose le Pô, vous vous engagez dans les sévères défilés de l’Apennin; à grand renfort de bœufs, vous en gravissez les confuses ramifications; vous franchissez le dernier sommet de ces âpres montagnes, presque entièrement dépouillées de verdure, ravinées par les eaux, battues par les vents, et aussitôt une atmosphère plus chaude vous enveloppe; vos oreilles sont frappées par la langue harmonieuse de Dante et de Boccace; les physionomies sont avenantes, vous êtes en Toscane. Une petite auberge, une osteria, vous attend un peu plus bas, à l’un des coudes du chemin. Entrez; peut-être l’hôtesse n’est-elle ni jeune, ni jolie, mais à coup sûr elle ne ressemble en rien à votre hôtesse du matin; rien de vulgaire dans les traits du visage, du sérieux et de la douceur, une voix agréable et des façons prévenantes.

Quant à Pichichia, ou, si l’on veut, Teresa, car Pichichia n’était que son surnom, elle était grande et svelte. Elle avait le front haut et droit, les cheveux châtains et pas très abondans, le teint brun, mais les joues colorées, des sourcils circassiens, de grands yeux, de couleur incertaine, ni verts, ni bruns; un nez un peu aquilin et trop accusé, une bouche plus grande qu’il n’eût fallu, mais d’un contour délicat et ornée de belles dents; le cou mince et long, bien attaché pourtant. Entre son caractère et celui des Romagnoles, le contraste n’était pas moins saisissant : au lieu de leur bruyante brusquerie, de l’enjouement tempéré par une gravité naturelle; des impressions aussi vives et aussi profondes peut-être, mais moins de fougue dans le sentiment et plus de mesure dans la manière de l’exprimer. C’était une brave et honnête fille, simple, naturelle, active, intelligente. Elle secondait habituellement sa mère dans les travaux du ménage; elle l’aidait à soigner la muca, et, dans la saison, les bozzoli[1], contribuant en outre pour sa part à la cueillée de l’olive, du raisin et des feuilles de mûrier, mettant au besoin la

  1. Vers à soie.