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maine, la grâce caressante et voluptueuse de la Vénitienne est bien moins encore leur fait. Ce qui domine en elles, c’est le noble et le sérieux. Un parfait atticisme, voilà le trait le plus caractéristique de la femme florentine. Chez elle, une beauté physique imparfaite est illuminée et comme transfigurée par la beauté intérieure, je ne dis pas de l’âme, mais de la pensée. Aussi captive-t-elle l’esprit bien plus qu’elle ne sollicite les sens. Jusque dans son enjouement, il y a une réserve extérieure qui écarte l’idée de galanterie; mais si sa familiarité même retient quelque chose de sévère, elle n’a pourtant jamais rien de mélancolique : en elle, rien qui sente la rêverie sentimentale. Il y a plus de passion dans l’émotion qu’elle fait naître, une passion contenue et sobre, mais rehaussée par cette idéalisation spiritualiste qui est le cachet de la littérature comme de la peinture des Florentins. De ce genre exquis de beauté, la nièce de la marquise était le plus parfait modèle. J’ai vu de plus jolies femmes; je n’en ai point rencontré qui, frappant aussi peu au premier aspect, fussent douées d’une telle puissance de séduction, séduction sérieuse, sans tendresse comme sans emportement, mais qui, s’adressant à toutes les facultés à la fois, exerçait une attraction irrésistible et presque mécanique.

Pendant que je regardais ma charmante voisine, les choses suivaient leur cours naturel. Les plus grandes infortunes ne jouissent que peu de temps du privilège de nous occuper. Pour l’homme, c’est beaucoup que d’accorder quelques minutes de sincère commisération à autrui, et de le ravir à ses plaisirs ou plutôt à lui-même, car son égoïsme lui fait considérer comme un dommage personnel tout ce qu’il accorde à son prochain d’attention et d’intérêt. Aussi ne fut-il bientôt plus question de Pepe et de Pichichia. La conversation reprit son tour ordinaire, et je remarquai qu’à Florence, comme dans tous les salons de la terre, les gens du monde s’occupent et parlent surtout d’eux-mêmes.

Comme nous venions de nous lever de table, Mlle Elena Dini (ainsi s’appelait la nièce de la marquise) disparut. Je ne m’en aperçus pas tout de suite, occupé que j’étais à regarder l’ameublement du salon : soffitto en bois sculpté, pavé en marbre de diverses couleurs, tentures en soie cramoisie, glaces de Venise, divans le long des murs; dispersés au milieu de la pièce un piano, deux ou trois tables, une causeuse et plusieurs sièges modernes. J’entendis une porte s’ouvrir, c’était la jeune reine de céans. Je crus d’abord qu’elle venait à moi; mais elle passa de l’autre côté d’une table ronde sur laquelle un vase de Chine contenait un énorme bouquet de fleurs. Retenu par je ne sais quoi, je restais à l’écart. Après plusieurs allées et venues, tours et détours, après avoir échangé d’un air distrait